Il nous a laissés seul. Nous voici donc cocus.
Nous l ‘avions tous connu. Ni génie, ni apôtre:
il n’était qu’un coeur tout proche des nôtres.
Mais il est mort.
Comme la terre.
Écroulé, l’éphémère
trésor.
Tirez la leçon tous de ce destin précaire.
Ainsi est l’homme. Un unique exemplaire.
Il n’avait ni n’a pas de sosie aujourd’hui,
et comme aucune feuille n’aura de sosie,
il n’aura son pareil dans le temps infini.
Voyez sa tête et ses si chers yeux engloutis
par sa face. Et sa main déjà perdue dans une
inexprimable brume,
pétrifiée comme une relique
désormais archaïque,
le secret ancestral que cette vie résume
y étant gravé par des runes.
Quoi qu’il fût, il était d’une chaleur qui luit,
les gens savaient et proclamaient: »C’est lui.»
A sa façon d’aimer tel ou tel plat,
de parler – ah, sa bouche qu’aujourd’hui scella
le silence, ah ce ton qu’on entend résonner,
comme la cloche des églises immergées,
de dessous l’eau, puis la voix de naguère:
«Apporte-moi un peu de fromage, ma chère», –
ou de boire du vin, d’admirer la fumée
qui montait de sa cigarette bon marché,
et de toujours aller, courir, téléphoner
en tissant de son rêve le fil coloré:
le signe lui venait resplendir sur le front
qu’il était seul ce Lui parmi tant de millions.
On a beau le chercher, on ne le trouve plus
ni en Asie ni au Cap: ni vu, ni connu,
le passé l’ignore, et, dans l’avenir qui brille,
n’importe qui peut naître encore, mais pas lui.
Plus jamais n’éclatera, plus jamais
son drôle de sourire pâle, un peu de biais.
Fée Fortune elle-même jamais ne saura
produire ce miracle une deuxième fois.
Mes chers amis, ce cas est tout a fait semblable
à celui de tel homme de la fable
auquel un jour la vie pensait,
et nous de raconter tout de suite: «Il était…»,
puis l’écrasa le ciel affreux de tout son poids,
et nous de l’évoquer, pleurant: »Il n’était pas…»
Ci-gît le grand lutteur transformé en statue
de lui-même, figé, s’étant à jamais tu.
Aucun produit ni voix ne le réveillera,
ni des larmes en flux: il était. Une fois.
***
Dezső Kosztolányi (1885-1936) – Traduit du hongrois par Jean-Paul Faucher