J'ai rencontré pour la première fois Régine Sobol et son mari Nathan en 1994. Journaliste, j’avais créé une émission pour une radio lyonnaise, RJL, où je donnais la parole à des enfants de déportés, entre autres. Ils furent, parmi les invités que je reçus, ceux qui suscitèrent le plus de réaction des auditeurs. En 1995, avec leur aide, j’initiais une émission de télévision sur ce même thème. Je fus accueillie, avec d’autres témoins, sur le plateau de TLM, par Frédéric Lopez, le créateur sur France 2 de « Rendez-vous en terre inconnue ». Il débutait alors sa carrière à Lyon, sa ville natale. Les liens avec Nathan et Hanna Sobol se consolidèrent au cours d’un nouvel acte de confiance. Je fus chargée de mission au Centre d'Histoire de la Résistance et de la Déportation de Lyon pendant de nombreuses années. Je recueillais les témoignages de résistants, de déportés et, dans leur cas, d'enfants cachés. Ils me confièrent leur histoire, une histoire d'enfants déplacés, de fuite à travers la France de peur et de deuils. Témoignages qui demeurent dans les archives du CHRD.
Depuis, Nathan est décédé, le 15
janvier 2010 et Régine doit reprendre le véritable combat de l'ensemble des démarches administratives d'une vie citoyenne, dont le renouvellement de ses papiers d'identité. Une situation
kafkaïenne, que j'ai déjà entendue, mais à une puissance bien supérieure dans son cas... Régine est née le 20 mai 1939, à Nancy (54), au sein d'une famille de juifs ashkénazes (venus
principalement de Pologne) . Le 30 janvier 1940, toute la famille de Régine doit être naturalisée sur ordre du gouvernement français. En 1943, sous le régime de Vichy, ils furent déchus de cette
même nationalité française, par décret. La mention de cette déchéance de nationalité est inscrite sur le livret de famille, mais il n'y eut jamais de réintégration officielle au sein de cette
même nation française. Depuis 1943, Régine et sa famille sont dans un statut flou, ni officiellement français, ni étrangers, un vide juridique…
Régine a pu obtenir le renouvellement de ses documents d'identité sans aucune difficulté jusqu'en juin 1987. Depuis, une situation ubuesque et qui serait digne d'un mauvais scénario de films de
série B, si elle n'était pas tragique dans ses conséquences corrosives, s'est mise en place.
En Juin 1987, donc, en plein procès Barbie, Régine demande le renouvellement de sa carte d'identité arrivée à expiration et se voit opposer un
premier refus de la préfecture du Rhône, malgré tous les justificatifs fournis attestant de l'identité française de Régine Goldkranc, épouse Sobol. la famille sollicite l'intervention de la
Licra, qui, par l'intermédiaire de Maître Jakubowicz, finit par obtenir gain de cause.
Dix ans plus tard , en 1997, le même scénario se reproduit.. Nouveau refus de renouvellement, pour différents prétextes. Cette année-là, c'est par le biais d'une intervention auprès du député du
Rhône, Jean Besson, par ailleurs Vice-président du Conseil Régional de Rhône-Alpes, que le renouvellement de ce précieux et indispensable document peut aboutir, après , tout de même,
l'intervention de trois ministres, dont le celui de l'émigration et de l'intégration!
2008, bis repetitae.. Nouveau refus de renouvellement de carte identité. Cette fois-ci, le prétexte invoqué est la mention de changement de régime matrimonial. Régine Sobol écrit une lettre
ouverte au Président Nicolas Sarkozy, après nouvelle intervention des ministres concernés; elle peut obtenir sa nouvelle carte d'identité.
Le dernier épisode de ce psychodrame a eu lieu en décembre 2012. Régine demande le renouvellement de son passeport à la Mairie de Saint Genis Laval, où elle réside. Elle se voit opposer un refus de la mairie de présenter le dossier à la Préfecture pour le motif suivant: " l’époux décédé de madame Sobol avait été adopté en 1990 par son beau père. Sur l'acte de naissance de Régine, il devait être porté la mention "épouse Sobol Swornik". Sur la carte d’identité renouvelée en 2008, il avait été simplement fait mention du nom de « Régine Goldkranc épouse Sobol » au lieu de « Epouse Sobol Swornik ».
Régine Sobol explique alors le contexte qui a présidé à ce changement de nom. « Le père de mon mari ayant été exterminé a Auschwitz, Nathan Sobol avait quatre ans lorsque sa mère, elle-même survivante, rencontre son beau père à la fin de la guerre, ils se sont marié en 1947 et Mr Swornik n'avait alors pas adopté les deux enfants de son épouse, dont Nathan. Cette adoption s'est faite à la mort de la mère de Nathan en 1990. Le nom de Nathan devient, du fait de l'adoption "Sobol Swornik", mention faite alors sur l'ensemble de tous ses documents. »
Régine garde, elle, son nom d’épouse « Sobol » et non « Sobol Swornik ». Ce qui pourtant
n'avait posé aucun problème depuis près de 23 ans devient aujourd'hui le prétexte invoqué pour ne pas lui renouveler ses papiers.
La conséquence de ce nouveau refus est très grave , puisque elle invalide la carte d'identité ainsi que l'ensemble des documents officiels de Régine Sobol, son passeport expirant en mars 2013 et
n’ayant pas été renouvelé. Madame Sobol , de ce fait, se retrouve en situation d'être une "sans papiers" sur le sol français où elle est née. Elle ne peut, de plus, pas sortir du territoire français.
Elle a fait appel à la presse à
travers moi en désespoir de cause. Elle m'a confié se sentir rejetée par la nation française, et subir à chaque fois l'humiliation de se sentir une Française de seconde zone, alors que la France
pour ses parents avait été une terre de refuge. Elle et son mari ont donné à ce pays deux enfants brillants, dont l'un, Hagay Sobol, est un
professeur de médecine reconnu dans le monde entier, spécialiste en génétique du cancer et l'autre, Serge Sobol, docteur en chirurgie dentaire,
implantologue conférencier..
J'ai pu avoir accès à un dossier édifiant de documents dont certains remontent à 1940.
Régine Sobol me dit qu'après avoir reçu la nationalité française en 1940, puis qu'elle lui soit retirée par décret, elle souhaiterait, pour elle comme pour ceux qui se trouvent dans la même situation, qu'un décret leur rende leur légitimité et leur citoyenneté pleine et entière. Et que c’est tout le sens qu’elle souhaite donner à cet appel.
S Oling 6 janvier 2013