Est-ce que l’Américain moyen a déjà entendu parler du CERN, l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire, située près de Genève ? Oui, grâce au roman Angels and Demons de Dan Brown, dans lequel est mis en scène un complot diabolique au sein du CERN sur fond d’antimatière. Le CERN s’est habilement réapproprié la publicité négative de cette affaire en rappelant la réalité scientifique des phénomènes imaginés par l’auteur, point par point, sur son site (version française ici, version anglaise là). L’aspect positif a été de rappeler que le World Wide Web y a été créé !
Nouvelle attaque du CERN, non plus informationnelle mais judiciaire : cette fois, c’est l'accélérateur de particules le plus grand du monde, construit au CERN et dont la mise en service est prévue dans quelques mois, qui est visé.Un recours contre le LHC, le Grand collisionneur de hadrons, a été déposé devant un tribunal d'Honolulu (Hawaii), affirmant que les expériences prévues "pourraient créer un trou noir susceptible d'engloutir la Terre et peut-être l'univers entier".
Par qui ? Deux personnes, Walter L. Wagner et Luis Sancho. Encore des fanatiques de la théorie du complot ? Walter L. Wagner a un passé de physicien à l'université de Californie, mais il s'est orienté vers le droit et a préféré consacrer sa vie à éplucher la législation : en 1999, il avait déposé une plainte identique contre un accélérateur de particules américain, celui du laboratoire national de Bookhaven, conçu pour des recherches analogues mais à plus faible énergie. La plainte a été rejetée en 2001 et tout fonctionne très bien. Quant à Luis Sancho, on sait seulement qu'il s'intéresse à la théorie du temps et qu'il vit en Espagne.
James Gillies, le porte-parole du CERN, précise que le tribunal d'Honolulu n'a aucunement le pouvoir d'interdire les travaux en Europe et que, quoi qu'il en soit, deux enquêtes ont déjà démontré que ces recherches se déroulaient en toute sécurité. En outre, pour ne laisser subsister aucun doute, une troisième investigation est en cours et ses conclusions seront rendues publiques le 6 avril prochain.
Wagner menace : « le Fermi National Accelerator Laboratory [dit "Fermilab", l'équivalent du CERN aux Etats-Unis] et le ministère de l'Energie américain collaborent aussi au programme : ils fournissent des aimants supraconducteurs. C'est donc sur ces éléments que le tribunal fédéral peut faire porter son jugement, qui aurait pour résultat de bloquer la grande machine. »
Le LHC du CERN sera le plus grand et la plus puissant des accélérateurs de particules du monde. En faisant entrer en collision des particules circulant en sens opposés et lancées à une vitesse proche de celle de la lumière, il recréera les conditions qui prévalaient juste après le Big Bang. Une nouvelle frontière de la connaissance se dessine afin de résoudre de nombreuses énigmes scientifiques ; il s'agira de pister le mystérieux boson de Higgs qui expliquerait l’origine de la masse des particules, de mieux comprendre la nature de la matière noire et de savoir s’il y a des dimensions supplémentaires de l’espace.
"Le grand collisionneur de hadrons reproduira des réactions analogues à celles qui se créent cent mille fois par jour et de façon naturelle lorsque les rayons cosmiques pleuvent sur l'atmosphère. Pourtant, jamais aucun trou noir ne s'est créé", a déclaré au New York Times Nima Arkani-Hamed de l'Institut pour la recherche avancée de Princeton.
La plainte a néanmoins été jugée recevable le 21 mars dernier et la première confrontation entre les parties adverses est fixée au 16 juin prochain. This will prove interesting.
Sources : Courrier International, NY Times, site du CERN