Je viens de finir, à cette heure tardive qui sied parfaitement à l’obscurité du roman, Bellefleur, de la grande Joyce Carol Oates.
J’en avais déjà pas mal parlé au début de ma lecture, il y a deux ans, puis tout récemment, quand j’évoquais le fait que j’avais repris ce livre magique et ensorcelant, quoique complètement décourageant pour un lecteur frivole. En effet, tant de personnages, une narration éclatée sur une centaine d’années, un style chargé quoique totalement maitrisé, il y a de quoi être effrayé par ce livre. Et d’ailleurs, je crois qu’il faut l’être. C’est un livre à la fois délectable et redoutable.
L’auteure y retrace le destin d’une famille puissante des États-Unis, et elle le fait avec férocité. Elle est passionnée, habitée par ses personnages, on le sent, mais elle les rudoie. Aucune tendresse. Au gré de son imagination -jamais prise en faute, on le sait-, elle réserve des sorts plus terribles les uns que les autres à chacun des membres de cette famille maudite (roman gothique oblige). Il y a des scènes d’une violence inouïe ; on la sent jubiler d’assener brusquement tant d’horreur, de révéler l’humain sous ses jours les plus sombres et mauvais. Terrible lecture. Terriblement addictive également car elle sait raconter les histoires, et dans le fond, chacun des chapitres, qui naviguent entre chaque personnage ou branche de la famille, ainsi que les différentes époques, nous propose une histoire qui pourrait presque exister toute seule. Des contes grotesques et macabres qui à chaque fois éclairent un trait de personnalité d’un personnage, ou au contraire digressent vers un personnage satellite de la famille Bellefleur. Ce n’est qu’à la toute fin que l’ensemble fait sens, dans sa cruelle absurdité, pour faire apparaître la violence du sentiment humain appelé désir de vengeance.
Je conseille donc de le lire tranquillement, comme on savoure un alcool fort, petit à petit, au coin du feu, (le lac noir a l’air un peu frisquet).
Sachez que vous croiserez un chat gris-rosé aussi facétieux et grave que ses maîtres, un jeune garçon préférant la compagnie des libellules de son étang que celle des enfants de son âge, une grand-mère centenaire qui décide de se remarier, une femme excentrique vivant dans une cabane à tricoter et coudre des édredons, un illuminé voulant vivre seul dans la montagne pour être plus près de Dieu, une fillette sachant lire à trois ans qui ressent les événements avant qu’ils n’arrivent, un jeune homme happé par une chambre turquoise…
Difficile de ne pas être sous le charme…
Photographie de John Cimon Warburg, choisie par le livre de poche pour son édition de Bellefleur.