140 caractères ne sont pas suffisant pour parler de l’affaire #Adgate. Alors voilà mon avis. Histoire d’éviter de noyer les timelines de mes gentils followers sur Twitter.
Les faits
La dernière mise à jour de la Freebox v6 a installé une fonction qui coupe les principaux adservers. c’est à dire l’affichage de bannière publicitaire et autre publicité Google sur les sites web (et aussi les Analytics).
Néanmoins cette option d’interruption involontaire de la publicité est désactivable par le biais du menu de la Freebox. Donc pas de quoi en fouetter un chat, et pourtant…
Haro anti-Niel
Immédiatement ça a été la ruée dans les chaumières. C’est que l’affaire était grave : on interdisait la publicité au bon peuple, et ça, sans lui demander la permission. Quel scandale !
Les journalistes exceptionnellement prévenus avec moins de 2 jours de retard (merci Twitter) ont pu écrire des tas de trucs complètement cons en attendant que de vrais spécialistes prennent la parole (Benjamin Bayart, Korben ou BlueTouff entre autres – même si je ne suis pas du tout d’accord avec ce dernier).
Sans attendre, Fleur Pellerin, en grande défenseure de… de quoi déjà ? Ah oui, de l’Internet-libre-vaut-mieux-pas-parler-d-hadopi. Fleur Pellerin, donc, après quelques communiqués sibyllins, a décidé de prendre les choses en main et de convoquer Xavier Niel et les autres à l’Elysée. Ouais, ça c’est de la politique Fleur !
Et puis les internautes se sont déchaînés sur Twitter (bon, il ne s’agit pas véritablement d’internautes moyen, mais plutôt de journalistes, communicants, et informaticiens startupers) pour descendre Niel via le hashtag #adgate.
Mettons donc de côté les vengeances personnelles
Alors, je ne dirais pas que Niel n’a pas des méthodes de voyous. Mais et alors ? Maurice Levy est-il un saint ? Serge Dassault est-il un enfant de coeur ? Séguéla est-il un bénévole du resto du coeur ?
Donc oublions qu’il est un business man comme les autres et concentrons nous sur l’essentiel de la problématique qui peut se résumer en 4 points :
- Est-ce que tuer la publicité, c’est tuer les services web gratuits ?
- La publicité des adservers est-elle du contenu ?
- Xavier Niel a-t-il le droit de changer les règles ?
- Le gouvernement a-t-il raison de s’en mêler ?
1/ Est-ce que tuer la publicité, c’est tuer les services web gratuits ?
La publicité t’a tué ? Toi aussi, tue la publicité !
La plus grande accusation portée à Niel est qu’en supprimant la publicité, il tuerait les services web qui basent leur modèle économique celle-ci. Une affirmation primaire faite par des gens qui connaissent mal Internet, et donc à nuancer.
Voyons tout d’abord quels sont les sites et services web qui vous proposent de la publicité « pour vivre » :
- Les médias journalistiques (la presse online) et blogs professionnels (comme le blog du Modérateur).
- Les services web plus ou moins utiles.
- Les sites web au contenu récupéré ailleurs sur Internet auxquels je rajoute allègrement les blogs qui essaient de vous (se) persuader que bloguer c’est un métier, tu vois. Et que c’est normal d’être payé pour ses efforts, tu vois. Parce que c’est du travail un blog tu vois, et toi, tu passes par quelle régie pub ? Ils paient combien l’article sponso, tu vois ?
- Les fermes à liens et autres sites opportunistes qui sont là que pour faire de l’argent avec du search marketing.
Les médias journalistiques et blogs pros
Ce sont peut-être les vraies seules victimes de cette affaire. Seulement, il fallait bien que ça arrive un jour ! Car Internet n’est pas qu’un média, c’est un territoire contenant des frontières. Tenter d’appliquer un modèle économique basé sur du média traditionnel (le papier, la radio, la tv) à quelque chose qui est plus qu’un média, c’est se planter à plus ou moins long terme.
J’ai déjà beaucoup écrit sur ce sujet (Journalistes, la médiocrité ne paie plus ou encore Les médias experts peuvent-il survivre sur Internet ?), je n’y reviendrai pas. Mais il était inéluctable que ces sites journalistiques soient forcés de changer. Niel a seulement accéléré les choses.
Mais c’est toute une profession qui doit se remettre en cause en repensant à ses fondamentaux, ses principes, son avenir. Tenter d’empêcher ça aujourd’hui, c’est se prendre un mur encore plus fort demain…
Les services web ou sites de contenus plus ou moins utiles
Désolé de réduire quelques vos espérances, mais le monde des startups Internet n’est pas aussi joli qu’à la télé. La plupart des services web ne servent à rien ou existent déjà, et ne survivent souvent qu’en achetant eux-même du trafic via du lien sponso ou de l’affiliation, pour revendre de l’emplacement publicitaire. La plupart de ces startups sont montées sur des business models foireux dont l’objectif est 1/ de récupérer des subventions publiques du genre OSEO et 2/ se vendre rapidement à un VC fortuné.
Et puis il existe de vrais services web utiles, les meilleures startups. Pour elles, l’opt-in publicitaire peut être légèrement embêtant. Mais si le service est véritablement utile, il peut trouver facilement un moyen de se monétiser.
Ce sera certes plus dur, mais peut-être aussi que ces startups trouveront plus d’investisseurs que maintenant. Ces derniers n’étant aujourd’hui pas vraiment téméraires et n’achetant que les modèles économique sans trop de danger.
Et pour les autres ?
Les sites web qui diffusent du contenu piqué ailleurs, les sites opportunistes, les blogs qui se font payer pour ça, ceux là ne méritent que notre mépris. Si le travail de curation a une véritable valeur, celui de copier-coller n’est que du parasitage malhonnête.
Internet n’a pas été fait pour dupliquer et repiquer du contenu, mais pour faire des liens vers ce contenu. L’hypertexte sert à ça. Ces parasites sont donc inutiles et pires, ils abîment le web en faisant ça.
Alors pourquoi s’en faire pour ces sites qui ne servent à rien, à part occuper des informaticiens ou des communicantes qui bien souvent ont un boulot à côté et ne dépendent pas de ça pour vivre ?
Internet n’a pas besoin de la pub pour vivre
En conclusion, couper la pub ne fera du mal à personne, en dehors des journalistes qui devraient depuis longtemps réfléchir à l’avenir de leur profession, et de quelques profiteurs et opportunistes qui prennent souvent les internautes pour des vaches à lait.
Car le web a existé bien avant la pub digitale, et fonctionnait très bien sans. A cette époque, l’innovation a été faite par ceux qui voulaient gagner de l’argent en proposant des contenus utiles, pas en créant du trafic pour afficher une bannière. Si ce web dérange les arrivistes, qu’ils s’en retournent vers leurs call centers pourris et leur distributeur de spams.
Certains disent que la publicité, c’est de l’art… Alors on peut justement se demander :
2/ La publicité des adservers est-elle du contenu ?
Attention nuance : Niel ne bloque pas « la publicité », il bloque les bannières et les liens sponsorisés de Google. Et ces éléments sont-ils du contenu ? Question de point de vue.
Un publicitaire hypocrite vous dira certainement oui. Perso je vous dirai que depuis 10 ans, les bannières publicitaires m’ont rarement provoqué autre chose que de l’ennui. Car dans les années 97, on s’amusait avec les bannières. Vous en trouviez dans plein de technos différentes (je me souviens d’une bannière multijoueur en java pour Roland Garros) et dans plein de formats différents (rappelez-vous les pop-ups transparents hallucinants). Bref, il y avait de la créativité, de l’invention, du dynamisme.
Et puis les petites régies web ont été rachetée par les grosses régies médias. Les formats se sont rationalisés, les technos aussi. Et on termine avec des bannières en flash ou gif animé, pour plus de rendement, d’efficacité (du côté des régies du moins, car le taux de clic a radicalement baissé). Et les bannières, produites en masse, sont devenues inutiles, redondantes, lourdes à charger… Bref, une plaie.
Quand aux liens sponsorisés. Malgré quelques tentatives de changer de formats chez Google (animations textuelles, picto), le classicisme est resté la norme. Moche, ennuyeux. Et baucoup d’Internautes n’ont pas attendu Xavier Niel pour installer leurs adblocks.
Alors la publicité des adservers est-elle du « contenu » ? Non, définitivement non. Ou alors la merde c’est de l’art. Et ceux qui vous disent le contraire vous en vendent.
3/ Niel a-t-il le droit de changer les règles ?
J’ai beaucoup entendu de critiques de Niel dénonçant son manque d’éthique. WTF !
Ethique… Où avez-vous déjà vu de l’éthique dans les affaires des providers français ? Etait-ce éthique pour Orange de faire payer le triple du prix à la mamie du Cantal parce qu’elle ne comprend pas ce qu’elle achète ? Etait-ce éthique d’avoir cumulé pendant 15 ans le prix l’abonnement France Telecom en plus de l’abonnement Internet aux « consommateurs historiques » (mon grand père payait encore l’année dernière 80 € pour le téléphone fixe + la tv + internet, merci Orange).
Ethique… Ces providers nous volent depuis des années. Si les forfaits Internet mobile a baissé de 60% en 1 an, ce n’est certainement pas grâce aux patrons d’Orange, SFR ou Bouygues qui se sont arrangés pendant 10 ans pour qu’on paie les abonnements les plus chers d’Europe. Non, c’est grâce au manque « d’éthique » de Niel.
On ne doit certainement pas avoir la même définition d’éthique. Et dans ce cas, merci Niel de manquer d’éthique, ça fait du bien à nos portefeuilles de consommateurs de base, à l’économie française, et au développement d’Internet en France. Par contre, l’éthique de France Telecom, je vous la laisse.
Attention, qu’il soit clair qu’ici je ne défend pas Niel. C’est un business man, qui fait de l’argent et ce qu’il fait aujourd’hui, il le fait par intérêt et certainement pas par éthique, morale, ou je ne sais quoi.
Mais lui, il le fait en innovant, en changeant les règles établies. Pas en maintenant un statu-quo au dépend de ses consommateurs.
4/ Le gouvernement a-t-il raison de s’en mêler ?
Mais le pire est certainement l’irruption du gouvernement dans cette histoire…
Je reçois lundi #Free, les éditeurs et les régies publicitaires pour trouver un compromis. lefigaro.fr/hightech/2013/… #AdGate
— Fleur Pellerin (@fleurpellerin) Januar 4, 2013
Mais de quoi je me mêle Madame la ministre ? Pendant 20 ans, le gouvernement n’a pas manifesté le moindre intérêt alors que le nombre de providers Internet passait de 150 à moins d’une dizaine et que les 3 providers téléphoniques monopolistes s’arrangeaient pour avoir les forfaits les plus chers d’Europe.
Alors que viens faire le gouvernement là-dedans ? Il ferait mieux de nettoyer ses institutions poussiéreuses (comme le RSI par exemple) avant d’essayer de donner de leçons de business à Niel. Ou alors serait-ce une volonté socialiste de s’investir dans le droit et la démocratie Internet ?
Dans ce cas, ils se trompent de coupable et cette tentative commence bien mal. Qu’ils arrêtent Hadopi avant d’arrêter l’innovation.
En conclusion: l’innovation est la capacité de voir le changement comme une opportunité, pas comme une menace
J’aime cette affaire AdGate. Elle me réjouit car elle était inéluctable. Et ce n’est que la première d’une série d’affaire où l’on va voir des sociétés véritablement innovantes exploser les institutions, les vieilles générations, les modèles économiques instables, et même l’hypocrisie d’une économie qui court de plus en plus vite sans savoir où elle va.
La publicité vient de prendre un vrai coup de flippe. Car c’est bien de sa faute si cette situation s’est installée :
- En prenant Internet pour un simple média traditionnel
- En ne remettant jamais ses modèles économiques en cause à l’aune du 21e siècle (non vendre son matos sur Internet n’est pas remettre en cause son modèle économique)
- En n’anticipant rien. Virez moi donc ces responsables R&D/innovation qui maintiennent le statu quo dans votre société. La véritable innovation gratte, dérange, remet en cause l’entreprise.
- Et en continuant à faire de la pub de dinosaures…
Pointer du doigt Niel comme responsable de ce changement brutal c’est le transformer en bouc émissaire d’une économie stagnante qui ne veut pas évoluer. La pub aime trouver des coupables (cf. Mailorama en 2009) mais elle devrait regarder du côté de ceux qui ne veulent pas la faire avancer, pas sur ceux qui veulent gagner de l’argent en bouleversant les règles.