Le Théâtre de la Mode - 2eme partie : L'exposition

Publié le 05 janvier 2013 par Cameline

Affiche de l'exposition (Christian Bérard, 1945)

L'exposition parisienne

Le 27 mars 1945, le Théâtre de la Mode ouvre ses portes au public parisien. L'exposition se tient au Pavillon Marsan du Musée du Louvre.


Marcel Rochas devant l'entrée de l'exposition

Rue de Rivoli, la foule se presse à l'entrée du Pavillon, encadrée de gardes républicains. Passé la porte, les visiteurs sont accueillis par des jeunes filles qui distribuent les programmes du spectacle.

Programme de l'exposition - Illustration de Jean Cocteau 

« La foule était compacte, joyeuse aussi, car elle pouvait enfin se distraire après un hiver odieux au cours duquel Paris avait grelotté de froid, le ventre vide. L'envie d'être émerveillé se mesurait aux regards pétillants et aux chuchotements admiratifs. On était venu pour voir et être vu, comme aux plus belles heures de la saison parisienne. Des voilettes sur les yeux, les femmes gardaient leurs fourrures sur les épaules. »(1)

Le spectacle est magique. Une immense salle tendue de velours rouge ouvre l'exposition avec un théâtre peuplé des petites poupées vêtues de robes de soirée, les unes sur la scène, les autres au balcon, le tout éclairé par des rampes de théâtre. Puis ce sont deux salles successives décorées de tentures rouges, vertes et blanches, dans lesquelles sont nichées onze scénettes, « autant d'écrins d'une somptueuse et rare harmonie de couleurs »(2)

Le Théâtre de Christian Bérard

Le Carrousel de Joan Rebull

« Un carrousel de sirènes et de chevaux côtoyait une grotte enchantée, les grilles du Palais-Royal voisinaient avec les façades de l'île de la Cité (...). Les seules lumières provenaient des maquettes, ce qui donnait à la réception une légèreté enivrante »(1). Le tout enveloppé par la musique de Henri Sauguet, compositeur de musiques de ballets.


Les spectateurs déambulent émerveillés dans un silence religieux, s'amassant autour des décors.

« Le temps d'une visite, on oublie que la pénurie est toujours là, frappant la quasi-totalité de la population, pour applaudir aux dernières réalisations de la couture. »(3)


Après quatre longues années d'Occupation, les Parisiens, en manque de distractions et assoiffés de luxe et de beauté, accourent jour après jour au Pavillon Marsan.

Le succès est immense. Le tout Paris est là. Plus de cent mille visiteurs viennent admirer le Théâtre et l''Entraide Française n'obtient pas moins d'un million de francs en quelques semaines.  Une véritable petite fortune en ces temps difficiles.

Par cette manifestation, la Chambre Syndicale de la Haute Couture donne l'espoir d'un renouveau possible, montrant aux Parisiens qu'en cette période trouble et même si la guerre n'est pas terminée, la vie peut reprendre son cours.

De même, le Théâtre de la Mode prouve au public que la Haute Couture française n'est pas morte. Il se révèlera la manifestation la plus représentative de la splendeur de la mode parisienne.

La tournée

Après un tel succès, il est décidé de poursuivre l'exposition à travers l'Europe : Londres, Barcelone, Stockholm, Copenhague, Vienne.

 

Affiche de l'exposition de Londres en 1946


« Après avoir été admirées, fêtées par le Tout Paris, les Ambassadrices de la Mode, couchées dans des coffres moelleux, vont s'endormir pour traverser les mers … Elles se réveilleront sous des cieux lointains, elles redresseront leurs petits bras frêles, feront bouffer leurs robes satin couleur du temps. »(4)

L'Officiel de la Mode n°291-292 de 1946

Au printemps suivant en 1946, le Théâtre se prépare à poursuivre sa tournée vers les Etats-Unis. Dans l'espoir de reconquérir le marché américain, la Haute Couture parisienne revêt les petites poupées d'habits neufs issus de la collection printemps-été 1946. Et pour ajouter à leur beauté, de grands noms de la bijouterie, dont Van Cleef & Arpels, Cartier, Mauboussin, Lesage et Chaumet, leur offrent des bijoux à leur taille.

Bijoux Cartier, Van Cleef & Arpels, Mauboussin (Affiche de Lucha Truel pour le Théâtre de la Mode)

New-York, San Francisco. « Eblouie, l'Amérique découvre après la France et L'Europe que la mode française n'a rien perdu de sa vitalité et qu'elle est toujours à l'avant-garde. »(3)

Après l'exposition

L'exposition terminée, les bijoux repartent à Paris, tandis que les décors sont perdus ou détruits.

Les poupées et leurs costumes sont alors stockés dans les caves du grand magasin de City of Paris à San Francisco.


Oregon Journal - 30 juillet 1952

En 1952, les poupées du Théâtre de la mode terminent leur voyage au Museum of Art de Maryhill à Goldendale, près de Washington. Quant aux tenues présentées en 1945, elles ont toutes disparu.

Une nouvelle tournée

Préparation de l'exposition de la seconde tournée - Starbulletin.com

Quarante-cinq ans plus tard, de 1990 à 1995, le Théâtre de la Mode est ressuscité pour une nouvelle tournée de sept ans, en commençant par le Pavillon Marsan, puis à New-York, Baltimore, Portland, Honolulu, Tockyo, Londres ... Pour cette occasion, de longues années ont été nécessaires pour reconstituer les décor et restaurer les quelques cent soixante-dix poupées restantes.

Alors « les belles endormies se sont réveillées dans leurs toilettes des collections printemps-été 1946 et, avec elles, la nostalgie d'un passé défunt. »(3)

Eliane Bonabel en 1990

C'est cette version du Théâtre de la Mode que vous pouvez aujourd'hui admirer au Museum of Art de Maryhill.

Sources :

(1) Tous les rêves du monde, Par Théresa Révay, Ed.Belfond, 2010

(2) Le Théâtre de la Mode, article de Roger-M.Chevenard, 1945

(3) Le Théâtre de la mode ou le renouveau de la couture création à la Libération, par Dominique Veillon (Vingtième siècle. Revue d'histoire. Année 1990)

(4) L'Ambassade de la Mode, par P. Schall