Un peu avant midi, vendredi, il déboule dans la cour de l'Elysée.
Jean-Marc Ayrault fait mine d'être optimiste. Il scande son objectif,
inverser la courbe du chômage en 2013. Les journalistes présents ne
s'attendaient pas à cette prise de parole. Puis il file à Matignon. Un second séminaire sur l'emploi et la solidarité.
Mais que s'est-il passé ?
Le nouvel Ayrault est arrivé... ou bien.
En France, tu t'agites...
Evidemment, c'est de la communication gouvernementale. Les chaînes d'informations sont en manque d'images. A défaut de nourriture médiatique, nos éditocrates brodent sur les francs-maçons (Nouvel Obs, Le Point, Géo), les vrais secrets de la Bible ou les abus de cachets de quelques vedettes du cinéma français. Dans l'édition de Marianne le 5 janvier, Jacques Juillard s'indigne de ces « grands débats sur les sujets mineurs ». Il a raison.
Oubliez de montrer votre bobine un soir de Saint-Sylvestre auprès de policiers, d'infirmiers ou de retraités en maison, et vous risquez l'accusation d'abandon de poste, avec sondages en cascades et éditoriaux en mitraille.
La Fabrique de l'Opinion tourne parfois à vide. Il faut la nourrir.
Tout le monde a encore en tête l'hallucinante séquence estivale. Hollande s'éclipse en train à Brégançon, résidence présidentielle visible aux vues et sus de tous, et voici que l'ancien agité de Sarkofrance, Nicolas Sarkozy lui-même, déboule son communiqué quelques jours après pour condamner l'absence de décisions sur le conflit syrien. Et quelques éditocrates de renchérir alors sur cet été hollandais raté pour cause de vacances...
Observez également la polémique Depardieu. C'est anecdotique et pitoyable. L'ancien acteur est devenu russe, par décret présidentiel de Vladimir Poutine jeudi 3 janvier. Et vendredi 4, il se fend d'une longue lettre d'éloges à Poutine et à la Russie. Fabrice Arfi, journaliste de Mediapart, commente sur Twitter: « 1981: les riches avaient peur des chars russes. 2013: les riches deviennent russes ». Le ridicule rejoint la honte quand Brigitte Bardot menace alors, le même jour, de quitter la France pour la même Russie si deux éléphants malades d'un zoo provincial sont piqués. Il n'en faut pas plus que nos chaînes d'information s'engorgent de débats sur l'affaire, suivant une twittosphère amusée et scandalisée.
La Fabrique de l'Opinion reste immature, il faudra nous y faire.
Donc, le gouvernement met les bouchées doubles... en communication. Le style diffère cependant. Du temps de Sarkozy, nous aimions nous moquer de son agitation
médiatique souvent vaine. L'homme aimait autant les longs weekends
prolongés que les grandes conférences thématiques hebdomadaires avec
estrade, invités et caméras. Cette fois-ci, il n'y avait pas que de l'image, mais également une cascade d'annonces et de textes à digérer.
... tu communiques...
31 décembre, il est temps de publier de notre propre rétrospective exhaustive de l'année achevée. 52 semaines de Sarkozy à Hollande, la relecture provoque un sentiment troublant: le ratage de la campagne de l'ancien monarque - hors sol -, les caprices de l'opinion médiatique, la paralysie du débat politique malgré ou à cause de la Crise.
Devons-nous chroniquer le temps d'une Réforme ou celui d'une dislocation collective ? Sur les blogs, on s'interroge. On aimerait que 2013 soit l'année du respect, qui n'empêche nullement le débat contradictoire.
Lundi soir, on s'arrête sur les voeux de François Hollande. Les premiers du quinquennat, un exercice simple; on retient l'axe fort, la thématique qui nous obsède tous, la lutte contre le chômage. Hollande promet des méthodes nouvelles, se veut économe de l'argent public. La démarche change. Il demande des textes législatifs rapides et complets, mais « point trop nombreux ».
Mardi, on se souhaite la bonne année. Vraiment ? Tous nous la promettent déjà merdique et ratée d'avance. Tous... sauf Hollande. « FH2013 » comme on le surnomme déjà sur Twitter, veut croire que « le déclin n'est pas notre destin.» Il a raison. Le moral des Français est paraît-il en forte hausse. C'est surprenant.
Manuel Valls compte les voitures brûlées.
Mercredi, le nouvel Ayrault déjeune avec son président. Les caméras sont
là. On a déjà vu la quasi-totalité des ministres sur tous nos écrans. Il réactive son compte Twitter personnel, ça sent la consigne de conseiller. Claude Sérillon est nommé à l'Elysée, l'ancien journaliste s'occupera de communication.
Jeudi, le Conseil des ministres de rentrée est l'occasion de ... 15 annonces de réformes pour le semestre. Et pas des moindres ! On déroule le programme : la refondation de l'école, avec le retour d'une formation des enseignants, (fin janvier), « la reconnaissance de la diversité des modèles familiaux» (mars), le non-cumul des mandats pour les parlementaires (seconde quinzaine de février), l'indépendance du parquet vis-à-vis de la chancellerie (avril), la réforme du Conseil supérieur de la magistrature (mai), la lutte contre la récidive (juin), une réforme de la décentralisation, un nouveau calendrier du Grand Paris (avril), une loi sur les freins à la construction et la régulation des loyers (juin), sans oublier la fameuse réforme des retraites puisque le régime est loin d'être sauvé.
Il manque une loi. Sur la flexibilité et la sécurisation. La pression
est revenue. Patronat et syndicats se retrouvent le 20 du mois.
Le même jour, Jean-Marc Ayrault expose son nouveau modèle français dans une tribune dans le Monde. Il veut renouveler « notre organisation politique, sociale et économique, nos relations réciproques et notre rapport à l'environnement, pour rester fidèles à nos principes fondamentaux et retrouver fierté, cohésion et confiance en nous-mêmes».
Vendredi, sur le perron de l'Elysée, « j'ai demandé à tous les ministres d'aller dans toutes les régions de France. » Le nouveau Ayrault réclame du mouvement, aller « à la rencontre des forces vives du pays ¯ entreprises, salariés, élus locaux, associations ». Quand ça va mal, la pédagogie de terrain est nécessaire. Il sort d'un séminaire sur la situation économique du pays. Des ministres confient leur satisfaction. ça permet de se bâcher entre nous, ironise Michèle Delaunay.
On observe.
La France, tu l'aimes, ou...
Les ministres travaillent.
Jeudi,
la ministre de la Santé a supprimé le remboursement des pilules
contraceptives dites de 3ème génération. Le scandale grossit. Une femme a
porté plainte contre l'un des fabricants après un accident
cardio-vasculaire.
Après ses propres voeux jugés réussis, Vincent Peillon (Education) met en garde les établissements scolaires privés qui seraient tentés d'organiser quelque débat sur le mariage gay dans leurs enceintes. Les dérapages homophobes se multiplient. Le milieu scolaire est un terrain propice. On s'y suicide encore. Sur Twitter, qui vise pourtant une entrée en bourse, une vague de blagues nauséabondes a choqué au point que la ministre Najat Vallaud-Belkacem demande des explications au réseau social. Et une énième manifestation des « anti » antiques que l'on attend agitée est prévu le 13 du mois.
Pour qui voulait un tant soit peu réfléchir et travailler à l'analyse du pays, il y a aussi ses rapports qui sont autant d'éclairages. L'actuel gouvernement les publie en cascade. Où est passé le data-journalisme ? 2013 débute sans Owni, qui a mis la clé sous la porte le 21 décembre dernier, soir de la fin du monde. On se rabat sur autre chose, par défaut.
Chez Marisol Touraine, la DREES a publié pendant la trêve de Noël trois édifiants rapports, sur l'évolution du financement de la Sécurité sociale depuis 50 ans, l'aide aux seniors à domicile, ou l'accueil des jeunes enfants. Chez Aurélie Filippetti, la mission Lescure franchit bientôt le cap de la centaine d'auditions. Tout est consultable, tout est discutable. Mais la Fabrique de l'Opinion s'agite sur d'autres buzz. Chez Christiane Taubira,
Le Monde s'inquiète de ces Français plus nombreux à vouloir s'exiler en Belgique. Puisqu'ils sont riches (surtout en patrimoine), ce sont des talents, qu'une certaine presse pleure de voir partir. Il paraît qu'ils seraient plus de 500 désormais; qu'ils étaient 126 en 2012 contre 63 l'année précédente... C'est-à-dire rien. On s'en fiche.
Qu'ils partent donc, ces damnés de la Thune, comme les appelle Seb Musset. Ils ravivent la lutte des classes, comme l'explique un autre confrère. C'est tant mieux. C'est heureux.
Le Libéral serait en détresse. On n'y comprend rien. On croyait qu'il était sauvé. Car d'autres persistent au contraire à fustiger l'ultra-libéralisme de l'équipe Hollande. Laurent Mauduit s'apprête même à commettre un ouvrage sur sa fallite qu'il compare au comportement munichois de la classe politique d'avant-guerre.
Quelle comparaison fine et délicate ! Les procès en gauchitude vont reprendre, nous sommes en 2013.
A suivre.
PS: si ce blog de Chroniques se fait plus économe en billets de semaine, la chronique du weekend demeure une institution qui restera.