L’obsession — La Débandade *
Il est affligeant de voir à quel point ce que l’on craint finit par nous obséder, nous posséder, nous aliéner. L’être à peu près normalement constitué que tu es sombre
Les couvertures de magazines, les émissions télé, les affiches, attirent furieusement ton regard avant de l’écœurer et une sorte de dédoublement mental t’affecte : tu es obsédé par la faille éventuelle chez les autres ; atteint du syndrome de Stockholm, ton bourreau n’est rien d’autre qu’une partie de toi-même.
L’enfer dans tes entrailles, la tristesse invasive te transforment lentement en une sorte de rebut ; ton regard sur les autres lorsqu’ils parlent vaguement de sexe est plein de larmes invisibles. Docilement tapi sous ton indifférence, le désir suffoque avant de rendre l’âme. Leur vie t’apparaît comme un spectacle détestablement enchanteur. Ils baisent. Ils mènent une existence où leurs corps s’adonnent à l’éternelle danse qui galvanise l’homme, à la manière d’une guerre. Tu es déserteur malgré toi, enfermé dans une geôle où personne, jamais, ne te rend visite.
Tes rêves et tes jours se peuplent d’obscurs fantasmes où l’échec est roi. Mathilde, Betty, et maintenant ta propre imagination se dérobent à ta convoitise. Tu prends sur toi pour rester agréable au monde alentour, pour ne pas tomber dans l’aigreur absolue. Je me fais violence, comme on dit. Quelle violence ?
Par mutilation mentale, tu finis par t’interdire toute pensée scabreuse ; tu lis à n’en plus pouvoir, trouvant dans la lecture un semblant de répit, une échappée belle. Tu t’enlises dans une forme spéciale d’abrutissement par la littérature, comme d’autres dans l’orgie. Tu deviens un robot, étranger à ton corps, laissant le désir fuir là où bon lui semble.
Il y a pire. Il y a la misère, la faim dans le monde, la maladie, la mort.
Ton cas n’est pas unique, du moins oses-tu l’espérer. Cependant, tu répugnes, pour l’heure, à te renseigner, à rencontrer d’autres personnes atteintes de ce mal-être ; tu ne veux surtout pas en parler. Les mots sont parfois pires que le mal qu’ils colorent.
On peut vivre sans sexe. On peut vivre aveugle, sourd ou amputé d’un membre, voire d’un être cher. Cette vie-là n’est pas terrible, ou l’est trop, mais elle existe. Tu dois t’en contenter. Tu dois t’y résigner et tu n’y parviens pas.
* L’auteure de ce texte est une femme, cela n’empêche pas le narrateur d’être un homme. CT
Notice biographique
(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)
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