Blog Figaro d'Armelle Héliot bel article précédant, avec des commentaires élogieux soit mais bellement ressentis par Sophie et Carl
et puis Armelle y parle de la scène du théâtre de l’œuvre, un peu haut perchée elle oublie de préciser que l'acoustique en est exceptionnelle. Elle oublie de dire que ce théâtre revient à ses origines et ses premières amours à ce sens profane du sacré au théâtre : l'exigence artistique avec modestie. De grands textes de grands interprètes dans un écrin de luthier pour le corps de l'instrument.
J'y ai joué peu joué mais j'y ai joué et qui sait son agencement des loges aux coulisses avec ses petits escaliers en colimaçon à cour comme à jardin permettent un accès de remontée à la scène plus modeste et plus épris du public au théâtre : un jeu fertile.
Au cœur du bourbier humain (quel beau titre, dire qu'on se plaint de notre époque alors que de mon temps, me répétait ma mère à Noël, en se référant à sa propre mère née en 1905)
LE MONDE | 02.01.2013 à 13h02
Par Fabienne Darge
Voyager, c'est bien utile, ça fait travailler l'imagination. Tout le reste n'est que déception et fatigues. Notre voyage à nous est entièrement imaginaire. Voilà sa force", écrit Céline en exergue de son roman monstre. Voilà le voyage à faire, en ce passage d'une année à l'autre : s'embarquer en compagnie de Jean-François Balmer, qui, au Théâtre de l'Œuvre à Paris, livre une nouvelle version théâtrale de Voyage au bout de la nuit.
Fabrice Luchini en avait donné une version mémorable, brillante, qui fut un des grands succès des scènes des années 1980. Mais on peut préférer celle-ci : avec Balmer, on est vraiment au cœur du bourbier humain.
Le premier tour de force, c'est d'avoir réussi à préserver l'intégrité du Voyage, tout en le ramenant à une durée acceptable pour un spectacle de théâtre. L'adaptation de Nicolas Massadau - qui consacra un mémoire de DEA à "La théâtralité dans le Voyage au bout de la nuit, de Louis-Ferdinand Céline" - respecte la trame du roman, qui voit Ferdinand Bardamu traverser la Grande Guerre, l'Afrique, l'Amérique et la banlieue parisienne. Autrement dit, les grandes expériences du XXe siècle, qui ont fait ce que nous sommes, en ce début de XXIe siècle : la guerre, le colonialisme, le libéralisme financier, la misère, dont la banlieue est devenue l'emblème.
C'est la guerre, donc, qui ouvre ce voyage en quatre étapes, mis en scène avec une sobriété raffinée par Françoise Petit, sous des ciels changeants, menaçants, qui toujours retournent à la nuit. "On est puceau de l'Horreur comme on l'est de la volupté. Comment aurais-je pu me douter moi de cette horreur en quittant la place Clichy ? Ça venait des profondeurs et c'était arrivé", dit Bardamu. "A 20 ans je n'avais déjà plus que du passé. Les jeux étaient faits." Alors partir. C'est l'Afrique, ses ciels en Technicolor, la vie qui se dissout dans une immobilité moite. "Tout fondait en bouillie de camelotes, d'espérances et de comptes et dans la fièvre aussi." Adieu l'Afrique.
"Un homme naïf qui va traverser ahuri un abattoir international en folie"
Le voyage continuait évidemment. Mais lequel ? L'Amérique. Manhattan, Wall Street. "On n'y entre qu'à pied, comme à l'église. C'est le beau cœur en Banque du monde d'aujourd'hui. (...) C'est un quartier qu'en est rempli d'or, un vrai miracle, et même qu'on peut l'entendre le miracle à travers les portes avec son bruit de dollars qu'on froisse, lui toujours trop léger le Dollar, un vrai Saint-Esprit, plus précieux que du sang." Puis c'est le retour. "On retrouve le fil des jours comme on l'a laissé à traîner par ici, poisseux, précaire." La Garenne-Rancy, banlieue parisienne. "Quand on habite à Rancy on se rend même plus compte qu'on est devenu triste. On a plus envie de faire grand-chose voilà tout. A force de faire des économies sur tout, à cause de tout, toutes les envies vous sont passées."
Tout cela, on l'entend, on le voit, parce que la langue extraordinaire de Céline, sa "symphonie littéraire émotive", comme il appelait le Voyage, sont portées par un acteur pour qui le désespoir célinien, cette manière de théâtraliser l'existence pour dépasser le désastre humain sont sans aucun doute ceux d'une compréhension profonde. "Mon Céline, celui-là que j'ai mis dans la gibecière pour aborder le Voyage, c'est un homme naïf qui va traverser ahuri un abattoir international en folie, dont il va s'échapper vivant mais pas indemne, marqué à la tête et pour toujours", dit joliment Jean-François Balmer.
C'est avec une délicatesse toute musicale qu'il épouse le souffle et le rythme de cette langue insensée, et avec une tendresse troublante qu'il incarne, en maintenant une légère distance, "son" Bardamu. De la pâte humaine pure, malaxée par la guerre, l'"ennui criminel des hommes", la misère, la maladie. Sacré Voyage que celui-là.
Voyage au bout de la nuit, de Louis-Ferdinand Céline. Mise en scène : Françoise Petit. Théâtre de l'Œuvre, 55, rue de Clichy, Paris 9e. Tél. : 01-44-53-88-88. Du mardi au samedi à 21 heures, samedi également à 17 heures et dimanche à 16 heures, jusqu'en mars. 10 € (moins de 26 ans) et 30 €. Durée : 1 h 40.