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Quelques indianités

Publié le 04 janvier 2013 par Egea

L'Inde me reste mystérieuse. Voici un petit billet qui s'essaye, au gré de lectures récentes, de trouver des clefs de compréhension, à ma modeste mesure....

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La lecture du dossier de l'Express sur l'Inde, paru à l'orée des vacances de Noël, à été passionnante. Il a été conduit par Michel Angot qui est plus un anthropologue qu'un politiste.

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Il nous explique qu'il ne faut pas parler de l'Inde, mais des Indes aux pluriels. Ainsi, il y a des sociétés indiennes, chacun appartenant à plusieurs cercles et parlant plusieurs langues. Le système des castes est ainsi beaucoup plus subtil que ce que le politiquement correct occidental nous en dit, qui y voit une sorte de lutte des classes institutionnalisée, sans remarquer que le système laisse beaucoup plus d'ouverture qu'il n'y paraît, surtout s'il est joint à une appartenance de clans. Ainsi, on est plusieurs choses à la fois, et la catégorisation occidentale peine à appréhender cette multiplicité identitaire.

Du coup, il n'y a pas d'habitude politique ni de "religion" au sens où nous l'entendons. Et ces structurations de la sociétés, évidentes chez nous, ne le sont pas dans les Indes, où le Taj Mahal, mausolée musulman, réussit à être un symbole de l'indianité.

D’ailleurs, cela explique un parti pris de ce dossier : il n'y a aucune présentation géopolitique du pays : le politique est laissé à la portion congrue, la carte indigente, le rappel historique réduit. Car au fond, on nous explique que l’État n'existe pas, puisque cette invention britannique n'a eu aucune prise sur l'existant : les rois n'étaient que des chefs de bande exploitant un territoire au gré d'une fortune heureuse et aucun n'a duré. Ce qui explique que les Maharadjahs, qui n'avaient aucun rôle politique, aient été fort contents de collaborer avec les Anglais : eux, au moins, leur donnaient de l'importance.

J'ignore si ce point de vue est exact : l'Inde reste pour moi mystérieuse, et je me méfie du discours sur "la plus grande démocratie du monde" même si j'ai dû, probablement, y succomber un jour ou l'autre. Il reste que la présentation de cette altérité me semble éclairante.

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C'est donc pourquoi j'ai lu avec encore plus d'intérêt l'article passionnant de Julien Bouissou, paru dans le Monde du 2 janvier, qui nous explique la gigantesque campagne d'enregistrement automatique de la population. Ceci passe par l'attribution d'un numéro à chacun des Indiens, au moyen d'une campagne nationale d'enregistrement sur une base de donnée, avec saisie des empreintes digitales et de l'iris. Le programme aurait déjà attribué un "numéro d'identité" à 210 millions d'Indiens, et 600 devraient l'avoir d'ici 2014. Le but officiel consiste à organiser la distribution de l'aide sociale en évitant les échelons intermédiaires (il se dit que 85 % des sommes versées se perdent dans des corruptions diverses).

Ce cas est exemplaire de tout un tas de processus :

  • La construction de l’État ne vient pas seulement du fait guerrier, mais aussi de la connaissance d'une population : au sens premier, d'une "administration" des citoyens. Ceux-ci deviennent Indiens pas l'attribution d'un "numéro d'identité".
  • ce processus est rendu permis par les moyens cyber : il s'agit d'une véritable "informatisation de la société", dans un sens différent de celui donné habituellement à cette expression, mais à mon avis plus profond.
  • Il va de sois que ce rapport entre l'Etat et l'individu contribue à modifier les ancestrales logiques multi-identitaires pour donner une référence commune et partagée, mais surtout unique : entre le tout et l'individu, il peut y avoir beaucoup de choses en sus, mais il y a d'abord ces deux acteurs : l'Etat, et soi-même.
  • remarquons enfin que cette cybernétisation a également pour conséquence d'insérer les individus dans un systèmes bancaire. Le cyber permet une intégration aux circuits économiques ce qui n'était pas possible dans le système prévalant. Encore un signe de cette révolution radicale liant le cyber à l'économie.

On le voit, ce projet n'est pas seulement technique : il agira profondément sur le système indien. Et il amènera des modifications "politiques" aujourd'hui insoupçonnées.

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Alors que les systèmes politiques traditionnels peinent à organiser le monde (démocratie en panne, autocratie à l'évidence insatisfaisante), peut-être assistons nous là à la naissance d'un nouveau modèle. Et l'Inde ancestrale serait la matrice d'une modernité nouvelle, politique et non pas seulement technicienne.

O. Kempf


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