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Bien qu’ayant vécu une quinzaine d’années au Congo, je ne connais pas Pointe-Noire. J’y ai certes passé deux séjours, mais ceux-ci furent trop brefs pour que je puisse m’imprégner des senteurs de cette ville, dite poumon économique de la république du Congo, tendant les bras vers les grands gisements pétroliers dont elle semble ne pas voir la couleur noire de la production quotidienne.En écrivant Lumières de Pointe-Noire, Alain Mabanckou me conduit dans un nouveau voyage vers Ponton-la-Belle, comme on disait dans un autre temps. Nom qui, en y réfléchissant, n’apparait pas dans le magnifique texte que le romancier congolais consacre à la ville de son enfance et de son adolescence. Demain j’aurai vingt ans, déjà s’ancrait sur cette terre en bord de mer, et je dois dire qu’en commençant les premières pages de ce récit, j’ai fait une remarque à voix haute à ma belle disant « mince, Alain est en panne d’inspiration, il nous fait une version imagée de son roman précédent ! ». Erreur d’appréciation importante, car si de nombreux personnages familiaux sont déjà évoqués dans l’enfance revisitée de l’auteur congolais, Lumières de Pointe-Noire est un récit très différent.
Tout d’abord, il traite du retour du migrant qu’il est depuis le jour où un de ces gros avions de son enfance a fini par l'emporter vers d'autres horizons. Un thème de plus en plus présent dans une littérature africaine qui s’exprime plus que jamais hors du continent. Vingt trois ans que ce fils unique n’a plus remis les pieds dans cette ville côtière où crèche son clan, où reposent sa mère et son père. Qui suit la production littéraire d’Alain Mabanckou avec attention sait combien ces deux personnes sont présentes, accompagnent et influencent l’écriture de ce romancier. Choisissant de construire ce texte comme la diffusion de plusieurs ondes de cercles concentriques, entre l’enfant, la mère et le père avec un temps d’arrêt prolongé qui renvoie forcément le lecteur à son roman précédent, Mabanckou, laisse le cercle s’élargir au gré des retrouvailles heureuses souvent, heurtées parfois. Avec ses frères et sœurs. Ses cousins. Ses oncles. Puis les lieux qui ont marqué sa formation, sa construction intellectuelle et culturelle et surtout son désir d’évasion et de partir. Pointe-Noire interroge, interpelle, en dit long par ses impasses, ses immondices, ses prostituées, ses hôpitaux mouroirs dont on a peur de franchir le porche d’entrée.
En lisant ce livre, je me disais que l’auteur congolais livrait bon nombre de clés, de personnages, de croyances ayant inspiré ses romans précédents. J’imagine que certains reliront différemment Mémoires de porc-épic ou surtout Verre cassé, en rigolant moins. Je me dis aussi, que ce texte risque de clore une page, s’il est possible de le faire d’un point de vue littéraire.
J’ai aimé ce roman, non, ce récit où au fil des pages, l’émotion qui s’en dégage, la fausse ironie de l’auteur, les maladresses parfois de celui qui revient, les tentatives pour ceux qui sont restés de reprendre la main sur celui qui est dans l’esprit de tous, celui qui a réussi, celui devant qui le temps des retrouvailles on fait taire les divergences, celui qui incarne dans ses textes des portions des itinéraires passés par la rue bembé de Louboulou. Ce texte montre également qu’un témoignage du vécu de simples gens est beaucoup plus corrosif que moult gesticulations littéraires. Après tout dépend des lecteurs et de leur faculté à mettre leurs préjugés de côté.
Alain Mabanckou, crédit photo Caroline Blache
Immortaliser l’image de nombre de ces personnes rencontrées par de magnifiques portraits de Caroline Blache et les références littéraires et cinématographiques des titres de chaque chapitre sont des bonus qu’apprécieront les afficionados.
Alain Mabanckou, Lumières dePointe-NoireEditions du Seuil, 1èreparution en 2013, 279 pages