En fait, je n’aime pas tellement parler des livres que je lis. En parler sérieusement. Sur ce point, je suis en total désaccord avec ma mère. Par exemple, elle trouve qu’il n’y a rien de plus glauque que d’aller seule au cinéma « parce qu’après on ne peut pas échanger ». Sauf que la dernière fois, à la sortie du, mais je l’ai déjà dit, très émouvant film de Philippe Claudel, Il y a longtemps que je t’aime, nous avions chacune la beauté crue du film dans nos tripes ; nous avons donc fait le parcours reliant le cinéma à notre maison sans déranger le pacte silencieux de nos larmes respectives. Pourtant dieu sait que ma mère aime parler. Au début, seule, je n’allais pas au cinéma, j’attendais que ma mère, mon grand-père ou une copine m’accompagnent. Après j’y suis allée, lorsque j’ai eu une relation affective suivie - ma mère me voyait (ou appréhendait) déjà mariée et mère de famille à cette époque – accompagnée. Lui et moi nous chamaillions sur le film à aller voir. Sur qui allait payer. Sur ce que nous ferions après. Nous avons rompu et je n’ai plus jamais été au cinéma avec des petits amis ou des liaisons. J’y vais désormais avec ma mère, lorsque je suis en province, parce que mon père exècre le cinéma en général et en particulier le cinéma d’auteur. Il s’endort au cinéma, quand c’est triste, mon père. Sinon, j’y vais seule, le matin de préférence.
Avec les livres, c’est pareil. A l’époque du petit ami longue durée, j’aimais exclusivement la littérature. Lui n’y voyait aucun intérêt. Il lisait des piles d’essais politiques, historiques, économiques –il se préparait à être diplomate, n’est-ce pas sexy ?- je me souviens en particulier du livre La cassette testament de Jean-Claude Méry (Arnaud Hamelin), un livre inutile, tellement inutile à mes yeux, un livre qu’il m’a réclamé plusieurs fois au téléphone après notre rupture. Le livre croupit sous le maximum de poussière possible au fin fond du grenier de la maison de mes parents. Je me souviens du jour où il a ramené ce truc chez moi. Il l’a posé sur mon bureau avant d’accrocher son blouson au portemanteau. J’ai saisi le bouquin et je l’ai brandi dans sa direction en disant :
- Mais ?
Nous lisions chacun dans notre coin. Lui de grands essais érudits et moi de la littérature porno comme il disait.
A cette époque, en rébellion dans mes choix littéraires, j’ai étudié le cas des Contes de la folie ordinaire de Bukowski et Last exit to Brooklyn de Hubert Selby. Je me souviens parfaitement avoir pensé que les héros de Bukowski n’étaient vraiment « que des dégueulasses » qui aimaient trop la bière et la baise. J’ai trouvé cela pas très ragoûtant ni très utile. Qui n’a pas dans son entourage familial ou dans son voisinage, un vieux bouc qui pue la pisse à la bière et qui se gratte volontiers les couilles avant de réclamer une bise en guise de bonjour, ce qu’on lui accorde en général par politesse et parce que le dégoût nous dégoûte autant qu’il nous attire ? Quel besoin de lire Bukowski pour avoir ce genre d’images en tête ? Les gens ont peu d’images borderline dans la trombine ou quoi ?
Après j’ai pris Hubert Selby. Des nouvelles aussi. Après chacune d’entres elles, il fallait reposer le livre tellement j’étais mal à l’aise, honteuse même, d’avoir lu jusqu’au bout ces histoires sordides. Il n’empêche, je crois que je n’oublierai jamais, moi qui ait tendance à tout oublier, Georgette, Harry ni Tralala. Je crois que c’est Tralala dont le souvenir est resté longtemps le plus vif dans mon esprit. Un début de nouvelle minable, une fille minable, qui finit déchiquetée, encore plus minable que minable que minable dans un terrain vague absolu au milieu des détritus. Elle n’en est jamais qu’un de plus.
Bukowski versus Selby. Je choisis Selby même si ça fait mal à l’âme.
Et je ré-écoute Bashung.
Publié par les diablotintines - Une Fille - Mika - Zal - uusulu