Tout d'abord remettons nous dans le contexte de l'époque. Janvier 1993, les Bills de Buffalo ont gagné les deux derniers titre AFC et ont perdu les deux derniers Superbowl. L'équipe coachée par Marv Levy s'est construite sur une attaque no huddle affolante et des défenseurs carnassiers et chasseurs de turnovers. Il lui manque juste le soupçon de force physique brute, de puissance sur la ligne de scrimmage qui lui permettrait d'être une des grandes équipes de l'histoire de la ligue. Mais en cette fin de saison régulière, les Bills semblent en bout de course, la dynastie donne des signes de fatigue. Jim Kelly et son bras canon sont sur le flanc, les défaites se sont accumulées en fin de saison, la division a été perdue, les rivaux de toujours, les détestés Dolphins de Shula et Marino sont les favoris dans l'AFC. L'équipe s'apprête donc à jouer un match de wild-card et même les fans semblent ne plus y croire. Alors qu'ils remplissent depuis 5 ans ce qui est alors le plus grand stade de la NFL quelle que soit l'affiche, voilà que l'enthousiasme semble envolée. En fait plus personne ne semble encore s intéresser à cette équipe déclinante. Pour ce match de playoffs, les billets se vendent si mal que le match n'est pas retransmis localement à la télé, la fameuse "Blackout rule". C'est d'ailleurs pour cette raison qu'avec un membre de la famille qui m'héberge, "Uncle Scott" militaire basé au Japon, de passage dans les banlieues Sud de Buffalo pour les fêtes de fin d'année, nous pouvons acheter nos billets tranquillement une demie heure avant le match au guichet du stade. Une aubaine pour nous deux, et nous sommes encore loin de savoir à quel point! Le reste de la famille nous a déposé au stade, ils écouteront le match à la radio, de toute façon pour eux le match est perdu d'avance et comme en plus il fait un bon -5 sans compter le "Hawk" qui souffle du lac Erié. Pas de regrets, ils passeront nous récupérer après le match.
Au début tout se passe comme prévu. Les Oilers de Warren Moon sont en pleine forme en cette fin de saison. Le remplaçant de Kelly, Frank Reich, semble complètement perdu sur le terrain. On se les gèle, le public gronde un peu, puis s'endort. Les Tds des visiteurs s'enchainent. J'ai la vague impression d'être en train de regarder le match de trop d'une équipe en bout de cycle. 28-3 à la mi temps. Certains, plus frigorifiés que d'autres ou un peu moins fanatiques quittent déjà le stade. Quand en début de troisième quart McDowell remonte une interception de Reich pour porter le score à 35-3 je regarde Scott. On partirait bien mais bon... on a pas de bagnole et à l'époque évidemment pas de portable pour rameuter la famille. On est là, on est là.
Oui mais voilà, sans savoir ni pourquoi ni comment, la fierté des anciens? La honte? L'envie de sauver l'honneur? Voilà que les Bills marquent une fois, puis deux. 35-17. Le stade semble sortir de sa léthargie. On commence à donner de la voix, autant crier au moins ça réchauffe. C'est sans doute quand André Reed capte une passe de Reich pour marquer un TD de 25 yards que tout ce truc bascule. 35-24, le troisième quart est même pas terminé. Les Bills sont DANS le match. Le public aussi. Comme électrisés, comme un seul homme les 80 000 personnes présentes sont mises en transe. Levy audacieux comme à son habitude demande un onside kick à ses équipes spéciales. Pas un spectateur présent ne doute que Buffalo va recouvrir le coup de pied. Quand il est effectivement recouvert par l'équipe locale, plus un seul spectateur ne doute de l'issue du match: On va gagner.
C'est Reed à nouveau qui marque juste après 35-31. Le troisième quart se termine dans un stade en délire complet. Du haut des tribunes où l'on est avec Scott on voit à l'extérieur du stade des gars partis à la mi temps essayer de revenir prendre place dans le stade. Refoulés par la sécu ils sont conspués et insultés par des dizaines de fans proches des portes d'accès! Dans les travées on tombe dans les bras de parfaits inconnus. On chante, on rit, on pleure. Quand Christie tape le kick off suivant c'est dans le bruit assourdissant de 160 000 gants se frappant les uns sur les autres. Il fait -10, le soir tombe, le vent forcit, on a chaud, on est bien!
Reed encore marque. 38-35. Les Bills sont devant. On s'embrasse. Tout le monde a l'air fou, tout le monde hurle, on doit nous entendre au Canada. Les Oilers sont abattus mais pas vaincus. Ils arrachent la prolongation. Gagnent le toss de l'overtime. Personne pourtant ne semble douter. Plus maintenant, plus aucun fan des Bills n'aura peur de perdre, jamais. Nate Odomes intercepte Moon. Christie achève Houston. On nous entend au Canada. Buffalo, derrière les postes de radio, est un cri de joie.
La voiture est à l'heure au rendez vous. Scott et moi rions comme des gosses. Le reste de la famille a les yeux qui brillent. Noël est passé deux fois. On annonce de la neige pour ce soir. Les Bills jouent le week end prochain à Pittsburgh et personne ne doute qu'on va leur mettre la pâtée.
Ni les Steelers, ni les Dolphins une semaine plus tard n'arriveront à briser l'euphorie qui règne à Buffalo durant ce mois de janvier. Les Cowboys seront moins conciliants au Superbowl. Mais des 4 défaites en finale, celle là reste la moins pénible, la plus oubliée par les fans des Bills. Qu'importe la défaite quand on a connu the Houston Game!