Chambon-sur-Lignon n'est pas un village comme les autres. Pendant la Seconde Guerre mondiale, ce village cévenol, huguenot depuis le XVIe siècle, s'est distingué par le nombre de Juifs que ses habitants ont sauvé des persécutions nazies. Il est même le seul village d'Europe, avec le village néerlandais de Nieuwlande, dont les habitants ont été qualifiés de "Justes parmi les nations" par le gouvernement israélien.
Corinne Royer l'a choisi pour cadre de son second roman. L'histoire, qu'elle raconte, se passe aujourd'hui et pendant la Seconde Guerre mondiale. L'héroïne, Louise Sorlin, a vu sa vie contrariée à ces deux époques et son destin personnel a croisé celui du pasteur André Trocmé et de sa femme Magda, authentiques résistants, et celui de Victoria Hall, authentique espionne au service des Alliés.
James Nicholson est américain. Son père mourant lui a tendu un petit papier avec l'adresse de sa grand-mère paternelle, Louise, et a fermé les yeux avec un dernier sourire collé à ses lèvres, tout comme y était collée toute la France de sa mère, dont il était le seul fils, avec un seul enfant.
Seulement Louise meurt à la résidence des Sycomores le matin même de l'arrivée de James au Chambon-sur-Lignon. Elle n'a laissé que peu de choses derrière elle, entre autres deux photos d'elle et une de son petit-fils, mais surtout un petit cahier rouge dédié à son fils et aux enfants qui seront les siens.
Une bête ronge littéralement James. Elle s'appelle l'Oubli. Il ne saura jamais si Louise l'aurait reconnu comme son petit-fils. Alors il se sent incapable de lire lui-même les mots écrits dans le petit cahier rouge. Il se sent capable, à la rigueur, de les entendre.
Il est descendu au One Toutou, un hôtel du village, dont le nom est un hommage rendu par sa rousse propriétaire, Alice Rivolier, au bordel homonyme de la rue de Provence à Paris - elle aurait bien aimé être taulière. James y occupe la chambre dix-sept.
Tandis qu'il déjeune au restaurant de l'hôtel, il bavarde avec Nina, la jolie serveuse, et lui propose de la payer pour être sa lectrice du petit cahier rouge. Cette lecture dans la chambre dix-sept ne sera évidemment pas du goût de Pierre, aphasique depuis un accident de tracteur, mais beau brin de plume et au fort tempérament, qui sort avec Nina...
Dans le petit cahier rouge, Louise raconte ses dix-sept ans sous la botte allemande. Ceux qui occupent le pays sont les Ogres. Les habitants de la région cachent dans les différentes pensions du coin ceux qu'elle appelle les Petits Poucets et qui sont de petits enfants juifs recherchés par les Allemands.
Louise est amoureuse de Franz, un jeune Allemand, dont elle est persuadée qu'elle l'empêchera de devenir un Ogre à son tour. Avec lui elle devient femme. Elle le croit différent des autres. D'ailleurs Franz la prévient que les dix-huit Petits Poucets du foyer des Lunes seront embarqués le lendemain à l'aube.
Les Allemands ne trouvant pas les dix-huit Petits Poucets se vengent et emmènent vers une destination inconnue dix-huit autres enfants, pris dans la population. Franz, l'amour de Louise, a tenu le registre. Il était donc un Ogre comme les autres?
En quittant les lieux, Franz a cependant donné à Louise un médaillon en lui disant une phrase en allemand qu'elle n'a pas
comprise et qu'elle n'a pas cherché à comprendre, mais qu'elle a retenue. Et qui ne sera comprise par le lecteur non familier avec la langue de Goethe qu'à la fin.
A partir de là, Corinne Royer compose une intrigue dans laquelle des histoires individuelles se mêlent à l'Histoire avec un grand H. C'est l'occasion pour elle de montrer que, dans la vie, les apparences peuvent être trompeuses et que, bien souvent, des malentendus sont à l'origine de véritables drames.
Le récit de l'époque actuelle, qui n'est pas toujours rose, est entrecoupé de passages tirés du petit cahier rouge dont les événements se passent pour l'essentiel pendant la guerre. Le lecteur n'a très vite qu'une envie, celle de découvrir les pages blanches sur lesquelles sont écrits les mots bleus du petit cahier rouge. Car Louise, bien que sa vie soit contrariée, la regarde de manière lumineuse du haut de ses dix-sept ans.
L'épilogue est là pour rappeler que la vie justement suit des méandres imprévisibles, dans lesquels il est toujours possible de
puiser quelques réconforts pour tout le monde, dès ce bas-monde.
Francis Richard
La vie contrariée de Louise, Corinne Royer, 240 pages, Editions Héloïse d'Ormesson