Après Le Monde, c'est Libération qui augmente ses prix. La presse va mal, ce n'est pas un scoop, mais ce qui, dans ce processus de destruction créatrice qu'elle vit, étonne le plus est l'étrange aveuglement de ses dirigeants, aveuglement dont le papier de Nicolas Demorand pour annoncer cette hausse est un trop triste exemple.
Que nous dit-il? que "la production d’informations de qualité coûte cher, comme une photographie inédite, à la une ou en pages intérieures, qui marquera durablement l’œil et l’esprit de celui qui la regarde. La mise en scène, la mise en forme, la stylisation des «news» requièrent des équipes douées de savoir-faire rares, aux confins de l’art, qui concourent pleinement à l’identité d’un journal comme Libération." C'est exact, mais où sont, dans Libération, les informations originales? les reportages qui nous éclairent? On trouve dans ce quotidien des éditoriaux, des papiers de style (comme les excellents portraits de la dernière page), des reprises de dépêches d'agences de presse et des commentaires politiques, mais pas beaucoup d'articles que l'on ne trouve ailleurs, dans le Monde, Le Figaro ou le Parisien. Et c'est sans doute ce qui éloigne les lecteurs. Cela et une titraille à base de calembours et jeux de mots terriblement vieillie (comme ce "trop falaise dans ses baskets" de ce matin à propos d'Obama).
Si Libération perd des lecteurs c'est qu'il n'innove plus depuis longtemps, ne joue pas avec ses lecteurs, comme il le faisait lorsque les secrétaires de rédaction intervenaient dans les textes et se moquaient des journalistes, ne nous dit rien de nouveau sur la France, le monde et ne nous apprend rien.
Plus grave, peut-être, on ne sait en le lisant à qui il s'adresse, avec quel lecteur il entretient ce lien original qui en a fait, un temps, le quotidien d'une génération. Ses positions politiques actuelles témoignent d'une direction erratique. Est-ce bien malin de critiquer si sévèrement Hollande et de parler de son incompétence quand la plupart de vos lecteurs ont voté pour lui? Rien, en fait, ne donne envie de l'acheter sinon l'habitude et le souci de ne pas rester désoeuvré dans le métro.
Demorand annonce pour les mois à venir "d’autres manières de faire du journalisme." Mais rien sur l'articulation entre le journal imprimé et internet, alors que le plus intéressant du journal est souvent à chercher dans les blogs de ses journalistes qui peuvent publier sur internet ce qui ne trouve pas place dans l'édition papier (on pense aux Coulisses de Bruxelles de Jean Quatremer ou Secret Défense de Jean-Dominique Merchet aujourd'hui chez Marianne). Rien non plus sur la taille des papiers, qui paraissent longs dans la version imprimée et si courts sur un ipad. Je crains que ces nouvelles "manières de faire du journalisme" ressemblent comme deux gouttes d'eau aux anciennes.