Certaines n’avaient jamais vu la mer de Julie OTSUKA

Par Lecturissime

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Prix fémina étranger 2012 

L’auteur :

Née en 1962 en Californie, où elle passé toute son enfance, Julie Otsuka, petite-fille d'immigrés japonais, a étudié les beaux-arts à l'Université de Yale et entamé une carrière de peintre. La trentaine venue, elle a décidé de se consacrer pleinement à l'écriture et publié en 2002 un premier roman très remarqué, Quand l'empereur était un dieu, paru deux ans plus tard en France : un livre inspiré par l'histoire de son grand-père, suspecté de trahison après l'attaque de Pearl Harbor en 1941 et interné dans un camp de l'Utah pendant trois ans. Julie Otsuka vit actuellement à New York.

L’histoire :

 

L’écriture de Julie Otsuka est puissante, poétique, incantatoire. Les voix sont nombreuses et passionnées. La musique sublime, entêtante et douloureuse. Les visages, les voix, les images, les vies que l’auteur décrit sont ceux de ces Japonaises qui ont quitté leur pays au début du XXe siècle pour épouser aux États-Unis un homme qu’elles n’ont pas choisi.

C’est après une éprouvante traversée de l’océan Pacifique qu’elles rencontrent pour la première fois celui pour lequel elles ont tout abandonné. Celui dont elles ont tant rêvé. Celui qui va tant les décevoir.

À la façon d’un chœur antique, leurs voix se lèvent et racontent leur misérable vie d’exilées… leur nuit de noces, souvent brutale, leurs rudes journées de travail, leur combat pour apprivoiser une langue inconnue, l’humiliation venue des Blancs, le rejet par leur progéniture de leur patrimoine et de leur histoire… Une véritable clameur jusqu’au silence de la guerre. Et l’oubli.

PRIX FEMINA ÉTRANGER 2012 (Présentation de l’éditeur)

Ce que j’ai aimé :

 

Julie Otsuka a choisi un mode narratif particulier pour faire parler ces femmes japonaises au destin atypique : elle a opté pour un « nous » qui permet de donner une voix ample et puissante à ces femmes qui chantent en chœur leur douleur :

« La nuit nous rêvions de nos maris. De nouvelles sandales de bois, d'infinis rouleaux de soie indigo, de vivre dans une maison avec une cheminée. Nous rêvions que nous étions grandes et belles. Que nous étions de retour dans les rizières que nous voulions si désespérément fuir. Ces rêves de rizières étaient toujours des cauchemars. Nous rêvions aussi de nos soeurs, plus âgées, plus jolies, que nos pères avaient vendues comme geishas pour nourrir le reste de la famille, et nous nous réveillions en suffoquant. Pendant un instant, j'ai cru que j'étais à sa place. »

Le récit fait fi du pathos, et se contente de nous décrire froidement la vie filiforme de ces femmes arrachées à leur pays natal avec des rêves pleins la tête, et finalement vouées à trimer aux champs aux côtés d’un mari bien éloigné des photos et des lettres initiales… Les enfants qu’elles vont mettre au monde ne seront qu’une maigre consolation, élevés dans la pauvreté, ils n’en seront pas moins américains, et s’éloigneront peu à peu de ces mères japonaises si peu intégrées.

Mais l’horreur de leur destin ne s’arrête pas là puisque Julie Otsuka aborde également ce sujet souvent passé sous silence : le déplacement et l'internement de quelque 120 000 Japonais, en 1942, après l'attaque, le 7 décembre 1941, par l'aéronavale japonaise, de la base américaine de Pearl Harbor. Un à un ces visages japonais disparaîtront, emportés dans un gouffre qui va les broyer et les mener vers l’oubli. 

« Un garçon de Parlier a emporté une couverture de flanelle bleue qui conservait l’odeur de sa chambre. Une fille aux longues couettes venant de la petite ville de Tulare a emporté une épaisse craie rose. Elle s’est arrêtée un instant pur dire au revoir aux gens immobiles sur le trottoir et, d’une petit geste rapide, elle leur a fait signe de s’en aller et s’est mise à sauter à la corde. Elle est partie en riant. Elle est partie sans se retourner. » (p. 214)

Heureusement, la littérature est là pour nous rappeler le souvenir de ces destins malheureux et pour offrir à ces femmes un écrin de mémoire…

Ce que j’ai moins aimé :

La froideur du ton et du style fait que quelquefois on reste en dehors du récit, avec l’impression de lire une liste dépourvue d’humanité.

Premières phrases :

« Sur le bateau nous étions presque toutes vierges. Nous avions de longs cheveux noirs, de larges pieds plats et nous n’étions pas très grandes. Certaines d’entre nous n’avaient mangé toute leur vie durant que du gruau de riz et leurs jambes étaient arquées, certaines n’avaient que quatorze ans et c’étaient encore des petites filles. »

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Littérature Asie de l'Est  

D’autres avis :

Lecture commune avec Valérie ,Mirontaine, Jeneen,Monpetitchapitre, Mélo etSandrine.

Presse : Le Figaro ; Le Monde ; Télérama

Blogs : Canel ; Théoma ; Kathel, Yv, Aproposdelivres, Canel, Jérôme, Philisine Cave,

Certaines n’avaient jamais vu la mer, Julie Otsuka, traduit de l’anglais (américain) par Carine Chichereau, Phébus, août 2012, 144 p., 15 euros