Eloge de la dette

Publié le 03 janvier 2013 par Christophefaurie
Et si la solution de notre crise était dans la définition de « dette » ? SARTHOU-LAJUS, Nathalie, Eloge de la dette, PUF, 2012.
Notre crise n’est pas financière. Elle est celle de notre représentation du monde, fondée sur la fiction du « self made man » : l’individu ne doit rien à personne. Et les conséquences de ce déni de réalité sont effroyables. La dette financière est la moindre d’entre elles. Car l’individu a besoin de la société pour être. Il n’y a pas de libéralisme sans société. Il n’y a pas de liberté sans dette.
Ce livre est une exploration de la signification de « dette » par différentes cultures, proches de la nôtre. Dommage que l’on n’y parle pas de science (en dehors de la psychologie de Freud). Car elle explique que, dans le monde, tout est interdépendant. A vrai dire, je ne l’ai pas bien compris. Son intérêt est peut être plus dans les métaphores, travaux et idées qu’il cite que dans l’interprétation qu’il en donne. Parmi ce que j’en retire, et qui n’y est peut-être pas :
  • Pourquoi la religion catholique prohibe-t-elle l’intérêt ? (Le marchand de Venise.) Parce que le prêt est un don. Et don de son être, plus que d’un bien matériel ou de son corps. Mais il crée la potentialité d’un contre-don. C’est malin : non seulement on retrouve ce que l’on a donné, mais on s’est fait un ami, quelqu’un sur qui compter. « Intérêt » du prêt ? Mécanisme d’assurance ? Bien entendu cela signifie qu’il y ait sens du devoir. Prêter est un acte d’amour, de foi en l’autre. (Serait-ce pour cela que notre Etat providence est en faillite : ceux qu’il aide ne lui en sont pas reconnaissant ?)
  • Une question que je me suis posée : l’individu demande des décennies d’apprentissage social. Autrement dit, il ne peut pas être « libre » par son seul effort. Alors, l’insistance de certains libéraux à ne rien donner aux pauvres fait-elle de ces derniers des sous-hommes ? Les prive-t-elle d’une part de leur humanité ? (Les esclaves seraient-ils la contrepartie de la démocratie ?)
  • Ce livre m’a aussi montré Dom Juan de Molière sous un jour nouveau. Ce n’est pas l’histoire d’un séducteur. C’est celle d’un homme qui refuse de payer ses dettes à la société. C’est le précurseur des banquiers, et des oligarques modernes. Mais, notre nature même est l’emprunt : nous devrons rendre notre âme ! Surtout l’homme et la société sont en perpétuel devenir. Ce qui requiert l’entraide. Donc nouvelles dettes. Il se trouve aussi que nous créons des dettes que l'on ne nous paiera pas. Car nous faisons l'avenir de nos enfants. Par conséquent, nier toute dette, c'est vivre dans l'instant. C’est la jouissance à la DSK comme seul moteur, « la fin de l’histoire » des libéraux, et l’ardoise qu’ils nous laissent.
  • Le plus curieux peut être est que certaines dettes sont infinies. La culpabilité qui en résulte est écrasante. Or, comble de l’irrationalité, il peut y avoir « grâce », abrogation. Mais est-ce un don gratuit ? Car elle suscite, chez l’âme bien  née, un élan de reconnaissance éternel. Contre don ? (Serait-cela la charité chrétienne ?)
En résumé, tout ceci semble dire que nous sommes une société de pauvres types, de comptables méprisables, au cœur sec. Nous avons fait du don et de la dette une question de calcul, alors que c’est une affaire d’amour et de désir irrationnel. Mais d’une irrationalité qui se révèle, a posteriori, infiniment plus rationnelle que le calcul. Ce faisant, nous avons construit un monde à notre image, désertique. Et sans lendemain.