La censure partielle dont la loi de finances pour 2013 a fait l’objet par le Conseil constitutionnel, relance inévitablement les accusations d’amateurisme du gouvernement. Sans surprise, de nombreux commentateurs font bruyamment la leçon au gouvernement et ressemblent à ces économistes qui vous expliquent très bien après coup les crises qu’ils n’ont pas vues venir. Ainsi de la fameuse « taxe à 75% » (également appelée « contribution exceptionnelle de solidarité »), qui est déjà en soi un abus de langage, car le taux réel de cette tranche est de 18% (75%, c’est la prise en considération de toutes les tranches), et plus particulièrement du critère du foyer fiscal pour déterminer l’assiette sur l’impôt sur le revenu.
Il n’est pas rare de lire sur le net que le gouvernement a fait preuve d’amateurisme en ne tenant pas compte du foyer fiscal pour déterminer le mode de calcul de la contribution exceptionnelle de solidarité. Selon les analyses les moins indulgentes, le gouvernement aurait donc subi un camouflet. Sur Twitter, certains militants UMP, qui ont toujours eu du mal avec la démocratie en général et les alternances politiques en particulier, réclament sans rire la démission du président de la République, l’accusant au passage d’incompétence et de toutes les turpitudes. A gauche, certains s’épuisent à faire de faux procès au Conseil constitutionnel, le suspectant de partialité. Bref, le jeu politique habituel, pourrait-on dire. Sauf que les choses sont beaucoup moins simples qu’il n’y paraît.
Prenons par exemple la notion de foyer fiscal sur laquelle le Conseil constitutionnel s’est appuyé pour annuler le mode de calcul de la contribution exceptionnelle de solidarité. Le législateur l’avait écartée au profit de la notion de personne physique. Amateurisme ? Certainement pas ! En effet, aucune règle constitutionnelle n’imposait d’apprécier la capacité contributive liée à un ensemble de revenus par foyer fiscal plutôt que par contribuable. Le foyer fiscal n’a jamais été érigé en principe constitutionnel. C’est une notion administrative et statistique. En assujettissant les revenus d’activité dépassant un million d’euros, le législateur a pu donc estimer que ce niveau de revenu caractérisait à lui seul une capacité contributive de chaque personne bénéficiant d’un tel niveau de revenu (ne sont donc pas pris en compte les revenus de remplacement perçus après l’arrêt définitif de l’activité : allocations de chômage, préretraite, pensions de retraite ou d’invalidité.)
Certes, le Conseil constitutionnel s’est attaché par le passé à vérifier que l’avantage fiscal lié à la « conjugalisation » de l’impôt sur le revenu ne créait pas un avantage injustifié par rapport à la situation où les deux membres du couple seraient imposés séparément. Mais la haute juridiction a également jugé qu’il est loisible au législateur de créer une imposition en choisissant les contribuables disposant d’une faculté contributive particulière, si les contribuables retenus sont placés dans la même situation et que l’assiette de l’impôt ne crée pas d’inégalité. C’est la raison pour laquelle le législateur a très bien pu considérer, eu égard à l’importance du revenu d’activité en cause, que la capacité contributive n’était pas réduite par la présence, au sein du même foyer fiscal, d’une personne ayant des revenus inférieurs. Nous parlons en effet ici de revenus d’activités supérieurs à 1.000.000 € ! Or en France, le revenu moyen annuel d’une personne physique tourne aux alentours de 20.000€. Enfin, la mise en place de cette contribution était prévue pour une période deux ans.
On l’a vu, le Conseil constitutionnel n’a pas validé ce raisonnement relatif au mode de calcul de la contribution exceptionnelle de solidarité. Selon Dominique Rousseau, professeur de droit et fin connaisseur de la jurisprudence du Conseil constitutionnel (je souligne) :
« C’est une décision habile d’un point de vue politique. Elle n’annule pas le principe de cette contribution exceptionnelle, ni le taux de 75%. C’est la base de calcul qui est censurée. Le conseil constitutionnel estime que le foyer doit être pris en compte, et non la personne physique comme le souhaitait le gouvernement. Cette vieille ambiguïté concernant la prise en compte du foyer ou de la personne physique est enfin levée. »
Y a-t-il donc eu une erreur technique et amateurisme ? Oui si on veut polémiquer. Non si on remet en perspective ce qui s’est passé à l’aune du débat économique et juridique complexe concernant le foyer fiscal. La censure partielle opérée par le Conseil constitutionnel apporte donc une clarification bienvenue qui profitera certainement à tous les gouvernements futurs. Cette censure n’a en tout cas pas la sévérité de l’annulation de tout le dispositif de la taxe carbone fin décembre 2009. Ce qui, souvenons-nous, fut pour Nicolas Sarkozy un revers autrement plus important que celui subi aujourd’hui par François Hollande. Si on veut donc placer le débat au niveau de l’amateurisme, je pense que l’opposition de droite n’a aucune leçon à donner surtout quand on se rappelle qu’en 2011, il y a eu quatre lois de finances rectificatives (le 29 juillet, le 19 septembre, le 2 novembre et le 29 décembre avec d’ailleurs au final une censure de certaines dispositions par le Conseil constitutionnel sur saisine des parlementaires de gauche). Si on ajoute à ce qui précède, la loi de finances rectificative pour 2012 votée, de manière scélérate, le 14 mars 2012, donc sous la majorité précédente, cela en dit long sur les errements fiscaux de la droite qui se sont manifestés jusqu’à l’extrême limite du mandat de Nicolas Sarkozy.
Gabale, Mende (Lozère) le 31 décembre 2012