Au fil des quelques 250 articles que compte désormais ce blog, nous avons montré que le phénomène mémoriel est omniprésent : dans les rues, dans les discours, dans les musées, dans les médias, au cinéma, à l'école...
L'un de nos sujet de prédilection demeure néanmoins les manifestations mémorielles dans le domaine politique. En 2012, nous nous étions amusés avec Mémorice de France à recenser et commenter chacune de leurs apparitions durant la campagne électorale. Depuis quelques mois, nous travaillons également à mieux comprendre et actualiser la théorie du Point Godwin.
Désormais, nous suivrons aussi régulièrement les manifestations de la mémoire dans un lieu aussi emblématique que l'Assemblée nationale qui a été à l'origine de nombreuses polémiques mémorielles. Nous espérons ainsi pouvoir déceler la dimension mémorielle de certaines lois en préparation, identifier les groupes de pression à l'oeuvre dans l'hémicycle, et comprendre les logiques mémorielles portées par nos députés.
Il apparaît tout d'abord que la plupart des manifestations mémorielles à l'Assemblée nationale s'exprime sous la forme de questions posées aux ministres par les députés. La réponse est parfois très tardive...
Commémorer le traité de Paris
Jean-David SIOT, député des Bouches-du-Rhône, a demandé le 6 novembre 2012 au Ministre des Affaires Étrangères si le gouvernement français a l'intention de commémorer le traité de Paris du 10 février 1763 qui a mis fin à la guerre de Sept Ans entre la France et la Grande-Bretagne en cédant au pouvoir britannique des territoires et des populations françaises de Nouvelle-France (actuels Quebec, Louisiane et Acadie).
Le gouvernement rappelle en réponse que la France entretient "des liens particulièrement étroits avec l'Amérique du Nord, et en particulier avec ses communautés francophones". Un colloque sera organisé en novembre 2013 sur les traités de 1763 et 1783 par la commission franco-québécoise des lieux de mémoire communs en partenariat avec le ministère des affaires étrangères, le ministère de la défense et les archives nationales. Le gouvernement se dit cependant prêt à examiner d'autres initiatives qui pourraient émaner des autorités nord-américaines concernées.
La réponse est pour le moins étonnante car le gouvernement semble considérer qu'un colloque constitue une manifestation mémorielle. Nous avons déjà évoqué cette situation à plusieurs reprises sur ce blog car il s'agit en effet d'une réalité pratique : de nombreux colloques sont organisés pour motifs mémoriels qui permettent souvent de trouver plus facilement des financements.
Il paraît également surprenant de constater que le gouvernement souhaite examiner des initiatives qui émaneraient exclusivement "des autorités nord(américaines concernées" : doit-on comprendre par cette formule que la France n'aurait pas la légitimité pour organiser de telles commémorations ? Le gouvernement souhaite-t-il s'épargner l'idée de commémorer une cession de territoire ? Il faut reconnaître que la situation est pour le moins originale. Bien que la France ait conservé des liens culturels étroits avec les populations francophones d'Amérique du Nord, commémorer le traité de Paris revient à commémorer un conflit à l'issue duquel la France sort affaiblie et perd une grande partie de ses colonies ( lire le traité ici)
Commémorer La Boëtie
Germinal PEIRO, député de Dordogne, a demandé le 23 octobre 2012 au ministre de la Culture et de la Communication d'ajouter la commémoration de la mort en 1563 du poète français Étienne La Boëtie (originaire de Dordogne...) dans la liste des célébrations nationales établie par la direction du patrimoine du ministère de la culture.
La réponse indique que la mort d'Etienne de la Boëtie a bien été retenue par le Haut comité des Commémorations nationales et qu'une notice lui sera consacrée dans le prochain Recueil imprimé des Commémorations nationales : "cette notice, ainsi que la liste des manifestations culturelles organisées autour de la mémoire et de l'oeuvre d'Étienne de La Boétie, seront également accessibles sur le site Internet des Commémorations nationales". Force est de constater qu'à la date du 2 janvier 2012, ce n'est pas encore le cas sur le site en question....
Commémorer Bigeard... ?
Parfois, la réponse tardive du ministre ne peut que faire sourire. Le 11 septembre 2012, Philippe Meunier, député du Rhône, demandait au ministre de la Défense la date du transfert des cendres du général Bigeard aux Invalides après que le gouvernement vietnamien ait refusé qu'elles soient dispersées au-dessus du champ de bataille de Dien Biên Phù.
Le ministre de la Défense répond dans une jolie formule qu'il a décidé le transfert des cendres du général Bigeard au mémorial national des guerres en Indochine de Fréjus, "en plein accord avec sa famille et dans le respect des différentes mémoires qui lui sont attachées".
Fort heureusement, le croisement des sources permettra aux futurs historiens de comprendre un tel décalage entre la question et la réponse puisque le projet de transfert des cendres aux Invalides avait été décidé par le gouvernement précédent et qu'il a suscité une polémique invitant le nouveau ministre à réviser un tel projet.
Commémorer la guerre d'Algérie
La visite d'Etat de François Hollande en Algérie a suscité de nombreuses questions à l'Assemblée nationale. Elles sont assez symptomatiques de l'influence de la dimension mémorielle dans le travail de nos députés qui posent des questions dans le contexte de cette visite alors qu'elles auraient du être posées en amont afin de préparer la rencontre.
La dimension mémorielle repose également sur la répétition des questions identiques qui semblent être l'oeuvre d'un groupe de pression mémoriel ayant adressé des courriers à l'ensemble des députés.
Ainsi, cinq députés demandent au ministre de la Justice de reprendre les négociations avec les autorités algériennes afin que les archives des anciennes colonies du Maghreb restées sur place soient récupérées.
Deux députés demandent également au gouvernement ce qu'il envisage au sujet des anciens combattants nés en Algérie et morts au combat dans ce même pays entre 1953 et 1962. La loi prévoit en effet l'inscription du nom du défunt sur le monument aux morts de sa commune de naissance ou de dernière domiciliation ou sur une stèle placée dans l'environnement immédiat de ce monument. Or, pour les anciens combattants d'Afrique du nord, morts pour la France, nés et enterrés en Algérie française, la loi est de fait inapplicable. Les négociations à ce sujet risquent d'être sensibles avec les autorités algériennes mais témoigneraient d'une réelle volonté de tourner la page d'une histoire difficile.
Marietta KARAMANLI, député de la Sarthe, attire quant à elle l'attention du gouvernement sur les corps disparus des soldats français tués en Algérie. La question demeure cependant très floue car la députée évoque les problèmes de localisation de ces corps et l'attente d'informations sur les circonstances de leur disparition... tout en demandant leur rapatriement !!!
Enfin, Daniel GOLDBERG, député de Seine-Saint-Denis, pose une question très intéressante sur la multiplication des dates commémoratives relatives à la Guerre d'Algérie. Le conseil constitutionnel vient en effet de valider la loi instituant la reconnaissance officielle du 19 mars comme « Journée nationale du souvenir et du recueillement, en mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d'Algérie ». Or, la date du 5 décembre pour la « commémoration en hommage aux morts d'Afrique du Nord » instituée par le décret du 23 septembre 2003 reste en vigueur, multipliant et complexifiant encore davantage la question des commémorations.
Commémorer la Première Guerre mondiale
Jean-Yves LE DEAUT, député de Meurthe-et-Moselle, pose la question récurrente des fusillés pour l'exemple à l'approche du centenaire de la Grande Guerre et s'interroge sur la possibilité d'une réhabilitation demandée depuis plusieurs années, acceptée par plusieurs présidents de la République et Premiers ministres successifs, sans que la décision effective ne soit jamais prise.
Comme Jean-Yves LE DEAUT, nous nous sommes interrogés à plusieurs reprises sur ce blog sur cette question des fusillés pour l'exemple (d'abord en mars 2012, puis en avril 2012) et nous attendons la réponse du ministre avec impatience.
Les députés Jean-Jacques CANDELIER, François ASENSI, Marie-George BUFFET, Patrice CARVALHO, Gaby CHARROUX, André CHASSAIGNE et Jacqueline FRAYSSE ont déposé le 12 décembre 2012 une proposition de loi visant à abroger l’article 1er de la loi n° 2012-273 du 28 février 2012 fixant au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France. Cette décision annoncée par Nicolas Sarkozy en 2011 et assumée par François Hollande en 2012 n'a cependant guère de chance d'être acceptée.