Une fois de plus, l’Athénée Théâtre Louis-Jouvet propose un spectacle remarquable par son originalité et sa qualité.
Jusqu’au 13 janvier 2013, la Compagnie Les Brigands prend possession du théâtre avec deux opéras bouffes en un acte de Jacques Offenbach, plus farfelus et désopilants l’un que l’autre : Croquefer ou le dernier des paladins (livret d’Adolphe Jaime et Etienne Tréfeu), créé en 1857, suivi de L’île de Tulipatan (1868, livret d’Alfred Duru et Henri Chivot).
Rarement satire de la musique dite sérieuse et des mœurs du temps – le nôtre autant que celui du Second Empire, tant certains défauts paraissent immuables – aura été aussi drôle et légère, ce qui permit à Offenbach de passer à travers les mailles de la censure de l’époque.
Les Brigands, comédiens et chanteurs, voire danseurs pour certains (Flannan Obé en tête), servent avec énergie et brio ces deux œuvres injustement méconnues, et ressuscitent avec bonheur l’humour ravageur d’Offenbach, sous lequel se dissimule toujours une critique mordante.
La scénographie épurée et astucieuse de Thibaut Thack, qui fait intervenir un miroir pour créer l’illusion d’une haute tour dans Croquefer puis dénoncer des apparences trompeuses dans L’île de Tulipatan, évite l’écueil du grand guignol, de même que les costumes élégants et plein d’humour d’Elisabeth de Sauverzac.
Croquefer (F. Obé) et son ennemi Mousse-à-mort (Loïc Boissier), guerrier éclopé qui s’exprime en brandissant des écriteaux, mais confit dans sa dignité de chevalier, se trouvent enlisés dans un absurde conflit héréditaire qui a englouti toute leur richesse et presque tous leurs hommes, rappelant bien des conflits à travers les âges.
Dès lors, la lâcheté semble être la seule porte de sortie sensée, car comme rétorque Croquefer à son écuyer belliqueux, le bien nommé Boutefeu (Emmanuelle Goizé) : « Il est beau d’avoir peur quand on n’est pas le plus fort. »
Par un miracle d’anachronisme, la pièce, après avoir débuté au Moyen Age, s’achève au XIXe siècle, les personnages préférant finalement se divertir à l’opéra que se trucider.
Ce même opéra qui en tant que représentant de la « grande musique » est parodié pour notre plus grand plaisir. Difficile de ne pas pouffer de rire quand dans L’île de Tulipatan, Théodorine (Lara Neumann) s’exclame, sur un air aussi déterminé que martial : « Je vais chercher les petites cuillères… », de même lors du duo père / fille (fils) du sénéchal Romboïdal (François Rougier) et d’Hermosa (F. Obé) qui renvoie à maintes et maintes scènes de désespoir de jeune première pour mieux s’en moquer par inversion.
Car les personnages de ces deux œuvres pétillantes sont conscients de leur bouffonnerie et d’être les protagonistes d’une blague à la gaieté si folle et si communicative qu’on leur accorde bien volontiers ce qu’ils demandent à la fin de Croquefer : « Oh ! vous tous qui m’écoutez, grâce pour tant d’absurdités… ».
Et bonne année 2013 !