Les crime period dramas aiguisent toujours ma curiosité. Pourtant, en s'installant devant Ripper Street, il était difficile de ne pas naturellement se rappeler la relative déception qu'a été pour moi Copper, lancée par BBC America en août dernier. On se souvient aussi que même les Suédois, en s'essayant au genre avec Anno 1790, n'avaient pas réussi à trouver l'équilibre pleinement satisfaisant entre reconstitution historique et policier. J'attends donc toujours un nouveau City of Vice, mini-série qui avait si bien su me plonger dans l'envers glaçant du décor londonien.
Débutée ce dimanche 30 décembre 2012 (le pilote a rassemblé environ 6 millions de téléspectateurs), Ripper Street ne manquait cependant pas d'atouts : outre un solide casting (Matthew Macfadyen, Jerome Flynn), elle se propose de nous faire suivre des enquêtes dans le tristement célèbre quartier de Whitechapel, où a sévi Jack l'Eventreur à la fin du XIXe siècle. Ce premier épisode pose d'ailleurs de manière convaincante l'ambiance sombre attendue, avec tout un arrière-plan social et criminel qui a incontestablement du potentiel. Reste à vérifier si le fond policier suivra ; je reste pour l'instant sur la réserve.
Ripper Street débute à Londres en 1889. Le dernier meurtre de Jack l'Eventreur remonte à quelques mois déjà. L'identité du serial killer demeure toujours une énigme irrésolue dont la police n'a pu venir à bout. A défaut d'arrestation, ce qui contribue à une défiance exacerbée à l'encontre des forces de l'ordre, la population du quartier de Whitechapel en est réduit à s'interroger : a-t-il définitivement cessé sa série morbide ? Quand la série comment, ses habitants réapprennent tout juste à vivre sans la peur qu'a fait peser sur eux l'ombre du serial killer, tandis que les premiers Ripper Tours voient déjà le jour.
Mais, dans ce premier épisode, un nouveau meurtre de femme a lieu, relançant les spéculations sur un possible retour de Jack l'Eventreur. La division de police en charge de Whitechapel, minée par son insuccès à capturer le tueur, mène donc l'enquête dans des conditions difficiles. Navigant dans les bas-fonds londoniens, le DI Edmund Reid, assisté du DS Bennett Drake, conduit l'investigation. Ils sont aidés d'un ancien chirurgien de l'armée américaine, qui a été un temps un Pinkerton, Homer Jackson. Si le souvenir de Jack l'Eventreur est dans tous les esprits, ils vont pouvoir mesurer que la ville renferme bien des horreurs criminelles au-delà du serial killer...
Le premier atout de Ripper Street tient à son exploitation particulière de Jack l'Eventreur : il ne s'agit pas de le mettre en scène, mais de raconter comment la vie - et la criminalité - reprennent leur cours après le passage du serial killer. En proposant la reconstitution appliquée d'un quartier encore traumatisé par les meurtres, le pilote capture à merveille une atmosphère lourde, où le sordide et la débauche côtoient une violence omni-présente. Evoquer les dessous de ce quartier populaire où toutes sortes d'activités illégales prospèrent permet aussi à la série d'éclairer de manière particulière le rôle de la police : non seulement il lui est difficile, voire impossible, de réguler ces lieux, mais en plus - cela nous est rappelé de façon constante tout au long de l'épisode - les forces de l'ordre ont failli dans cette seule enquête que tous auraient voulu voir résolue, celle de Jack l'Eventreur. Tout l'enjeu va être de voir comment les policiers vont poursuivre leur mission, vis-à-vis du quartier, mais aussi par rapport à eux-mêmes et aux doutes, voire aux obsessions, que réveille désormais instinctivement en chacun l'évocation du serial killer.
Cette ambiance particulière et ces enjeux propres au Whitechapel de 1889 contribuent à forger pour la série une identité qui lui est propre et une tonalité, qui sont les meilleurs arguments de ce pilote pour fidéliser le téléspectateur. Car, dans son versant policier, Ripper Street présente des ingrédients extrêmement familiers, souffrant ici sans doute de passer après un certain nombre de crime period dramas. C'est-à-dire que, comme toute série de ce genre, elle développe quelques thèmes bien connus : les premiers pas d'une forme de médecine légale, les moeurs policières particulières propres à l'époque... Autant de ressorts narratifs qui apparaissent inévitables pour une reconstitution historique. De même, la distribution des rôles au sein du trio d'enquêteurs sonne très classique. Cependant, au cours du pilote, se perçoit une dynamique naissante entre les trois personnages qui ne manque pas d'attrait. A côté des deux figures policières, c'est peut-être le chirurgien américain qui offre la variable la plus intriguante, avec un passé qui s'esquisse chargé. Tout cela donne envie d'en savoir plus sur eux, ce qui est l'essentiel dans un pilote.
La principale limite de ce premier épisode tient à la manière dont est construite l'enquête du jour. Pas toujours très inspirée dans ses développements, empruntant allègrement quelques raccourcis un peu artificiels, la gestion de cette investigation ne convainc pas totalement. Or la solidité des intrigues policières est d'autant plus importante que Ripper Street semble s'orienter vers un format procédural. A la décharge des scénaristes, il faut reconnaître que cette première enquête est avant tout nécessaire pour faire le lien avec Jack l'Eventreur. Le meurtre d'une femme, et tous les démons qu'elle réveille dans le quartier, permet de dépeindre tout le background particulier dans lequel la série va évoluer. En cela, l'enquête sert avant tout d'introduction, justifiant pour le moment la relative indulgence du téléspectateur. La bande-annonce du deuxième épisode laisse de plus entrevoir une diversité des intrigues criminelles qui est à surveiller.
Sur la forme, Ripper Street est une série soignée. Dotée d'une photographie qui sied particulièrement à l'atmosphère des bas-fonds londoniens, avec son lot de misère humaine, de dérives et d'excès, elle est un period drama appliqué qui sait happer le téléspectateur dans le tourbillon de noirceur qu'est la vie du quartier de Whitechapel. Il faut noter également une omni-présence musicale, avec une bande-son portée par des airs rythmés, qui contribue bien à construire l'ambiance, même si la série gagnerait aussi à être capable parfois de pauses et de silences. Côté générique, celui de Copper était sans doute ce que la série avait le mieux réussi ; celui de Ripper Street se défend, et se révèle plutôt efficace, sans autant marquer que sa consoeur américaine (cf. la 2e vidéo ci-dessous).
En revanche, s'il est un aspect que Ripper Street pourra exploiter à son avantage, c'est la solidité d'ensemble de son casting. Le rôle d'Edmund Reid est confié à Matthew Macfadyen (Warriors, Spooks, Les piliers de la Terre, Any Human Heart) qui, égal à lui-même, s'en sort de manière convaincante. A ses côtés, on retrouve Jerome Flynn (Game of Thrones) qui, dans ce premier épisode, reste un peu en retrait, mais on peut lui faire confiance pour s'imposer dès que le script le lui permettra. Pour compléter le trio d'enquêteurs, Adam Rothenberg (The Ex List) incarne l'esprit d'initiative américain, avec un personnage déjà nuancé qui est celui qui intrigue le plus au terme du pilote. Quant aux présences féminines, elles doivent encore s'affirmer. On devra pour cela compter sur MyAnna Buring (White Heat), Charlene McKenna (Raw) ou encore Amanda Hale (The Crimson Petal and the White).
Bilan : Au final, le pilote de Ripper Street mérite le détour pour l'ambiance des bas-fonds londoniens qu'il parvient bien à recréer, posant une tonalité sombre qui lui est propre. Il pourra aussi compter sur un casting convaincant, avec un trio d'enquêteurs qui laissent entrevoir du potentiel. Son versant policier apparaît cependant pour le moment plus faible - notamment dans l'enquête de l'épisode. L'enjeu d'un crime period drama est de trouver l'équilibre entre reconstitution historique et policier. La balance penche plutôt vers le premier élément pour le moment. Mais la fonction introductive du pilote peut expliquer cela. La série ne manque cependant pas d'atouts. Son orientation future est donc à surveiller. Pour ma part, je compte poursuivre la saison.
NOTE : 7/10
La bande-annonce de la série :
Le générique de la série :