Usines, éoliennes, centrales solaires, routes : la conduite des projets ne peut désormais plus se faire comme avant. Il est en effet indispensable d'analyser la portée de la loi du 27 décembre 2012 relative à la participation du public. Une démocratie environnementale numérique émerge. A ce titre, 2013 représentera un point de bascule.
Très peu de monde l’a remarqué. Mais la loi du 27 décembre 2012 relative à la participation du public démontre une évolution majeure de la manière dont seront désormais débattus et – éventuellement - acceptés les projets d’infrastructures, d’installations classées ou toute autre opération susceptible de comporter des risques pour la santé et l’environnement. Cette loi décline l’article 7 de la Charte de l’environnement et met en place une procédure de participation du public sur internet pour les décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement.
Cette loi vient démontrer qu’internet et ses multiples lieux d’échanges d’idées et d’informations sont devenus un espace privilégié d’organisation du débat public environnemental et de la participation du public. Blogs, réseaux sociaux, site internet dédiés : les projets ne sont plus débattus que dans la permanence en mairie du commissaire enquêteur mais partout sur la toile. Une nouvelle donne qui est plus ou moins bien analysée selon les acteurs du débat public et parfois totalement ignorée par certains maitres d’ouvrage.
La loi du 27 décembre 2012 démontre mais va aussi renforcer, dés 2013, une évolution considérable de la démocratie environnementale : l’Etat lui-même désigne internet comme une place légitime et importante d’organisation du débat public environnemental où il accepte de présenter ses projets de décisions pour les soumettre au débat. Désormais, dès son début, dès la publication du texte qui va en constituer le cadre juridique, un projet sera identifié, analysé et débattu sur la toile. Sa réalisation et son avenir en dépendra grandement. Le fond et la forme du débat public va changer.
La participation du public sur internet qui permet à tout citoyen, sur tout territoire, de donner son avis sur un projet, parfois situé à des kilomètres de chez lui, n’est pas le seul facteur de transformation du débat public. Le stockage des dossiers d’enquêtes publiques sur des supports « légers » (clés USB, CD ROM..) permet aussi une diffusion plus rapide et plus large de l’information, a fortiori depuis qu’elle peut avoir lieu dès le dépôt dudit dossier devant l’autorité administrative compétente. L’évolution de la notion d’ »information environnementale » vient accélérer la transformation des conditions du débat.
S’il convient d’analyser le sens de cette émergence du principe de participation, il faut donc aussi en étudier la portée. Elle sera multiple. Ainsi l’attention portée à la composition du dossier lui-même qui sera soumis à consultation large devra être plus grande et différente. Pour analyser l’enjeu de cette évolution en cours, il est utile d’étudier quelques-unes des idées, parfois reçues, qui entourent la participation du public.
Ainsi, il est exact que de nombreuses enquêtes publiques n’attirent que peu de monde et, généralement, les seuls opposants. Disons le franchement, nombre de maîtres d’ouvrages considère, non sans raisons, que cette procédure coute cher et ne présente pas un grand intérêt. L’enquête publique est trop souvent l’apogée d’un dialogue de sourds dont chacun repart en étant encore plus convaincu de ses propres convictions qu’avant. On peut être un fervent partisan de la démocratie environnementale et constater que le débat public n’a parfois pour seule utilité que d’être un exutoire. Où la violence des propos ne témoigne pas d’une démocratie apaisée. Défendre la démocratie environnementale c’est refuser que les moments de concertation ne deviennent des champs déserts ou de bataille. En réalité, il faut conserver la procédure d’enquête publique en mairie même si le débat se fait largement sur internet. Il faut conserver la fonction indispensable du commissaire enquêteur même s’il est grand temps d’en préciser le contenu : il est le garant du débat public, notamment pour les personnes qui ne disposent pas d’internet ou ne peuvent pas s’y exprimer. La fracture numérique est une réalité que la Charte de l’environnement n’a pas vocation à renforcer.
En réalité, il convient de se garder d’une erreur fréquemment commise : l’intérêt pour le débat public environnemental ne peut être apprécié au regard de la seule participation aux enquêtes publiques. Car la participation peut se faire de différentes manières : certaines personnes chercheront de l’information, la diffuseront, d’autres s’exprimeront, d’autres encore manifesteront, feront circuler des pétitions etc… Le débat public peut aussi se faire... en privé. Ainsi, un projet pourra être discuté par mails. Par ailleurs, la participation du public peut se faire en plusieurs lieux et, de plus en plus souvent, sur internet.
S’opposer à l’émergence d’une démocratie participative est aussi utile que de s’opposer à celle de l’ordinateur, d’internet ou du téléphone portable. Certes, dans certains cas, une autorisation administrative (permis de construire, autorisation d’exploiter..) peut être annulée par le Juge administratif au motif que la procédure de participation du public n’aura pas été respectée. Certes, le maître d’ouvrage est trop souvent confronté à un problème sans solution : soit il tient compte des observations du public pour améliorer son projet et il risque de devoir reprendre toute la procédure à zéro, soit il ne tient pas compte des observations du public et il risque de violer le principe de participation du public. La réforme de l’enquête publique introduite par un décret du 29 décembre 2011 va donc dans le bon sens en ce qu’elle permet l’élaboration de modifications substantielles du projet en aval de l’ouverture de l’enquête publique. Mais il s’agit d’une réforme assez complexe dont peu de maîtres d’ouvrage possèdent déjà l’ingénierie. Reste que l’absence de participation du public n’est plus envisageable et représente à son tour un risque : le débat n’aura lieu que devant le tribunal administratif et le dialogue entre les parties sera irrémédiablement compromis.
Enfin, il est un sujet qui doit être traité pour convaincre chacun de l’intérêt de la participation du public : son coût. Il est exact que la participation du public a un coût, parfois élevé, pour les maîtres d’ouvrage. Le montant de l’investissement à réaliser peut constituer un obstacle pour l’entrée sur un marché d’une PME avec des moyens limités. Je me souviens d’avoir un jour évoqué cet argument – non sans fondement – avec un ancien président de la CNDP (commission nationale du débat public). Lequel m’avait fort justement répondu : « le coût de l’ingénierie technique et financière est rarement discuté. Pourquoi ignorer l’ingénierie sociale d’un projet ? ». Il est exact que les plans de financement de certains projets que je vois passer dans mon cabinet font complètement abstraction de cette ingénierie sociale. Les maîtres d’ouvrage et leurs soutiens financiers doivent intégrer ce poste de dépense dès la conception de leurs projets. La démocratie a un coût. Reste à ouvrir un débat sur sa prise en charge.