"you're gonna wonder how you thought you could live so large and leave so little for the rest of us. "
*Quelques spoilers au menu, vous êtes prévenus.
Retour au blockbuster pachydermique sous la houlette de Christopher Nolan, qui depuis son arrivée au chevet du héros masqué, n'a de cesse de repousser le niveau d'exigence du grand film estival. Et si on peut légitimement reprocher au monsieur d'en faire des tonnes et d'alourdir inutilement ces récits, le résultat est souvent intéressant et toujours propice au débat, qu'on adhère ou pas.
Ici moins tortueux que son prédécesseur (The Dark Knight), malgré son lourd cahier des charges s'étalant sur 2h44 de film, The Dark Knight Rises a fort à faire et s'élance lourdement dans ses points à contrôler, du costume de chauve-souris remisé au placard au statut de Wayne Entreprises, de l'arrivée du mercenaire Bane à la situation de la nouvelle Gotham, épurée de ses crimes. Un statu quo déjà ambitieux par sa redéfinition du mythe (sapé dans la conclusion de TDK), qui puise sa source dans The Dark Knight Returns de Frank Miller, pierre angulaire du comic-book aux côtés de Watchmen, à laquelle s'ajoute l'envie terminale d'en finir avec Bruce Wayne et ses démons, tout en ayant recours à certaines aventures papiers du héros (sans trop en dire, Knightfall et No Man's Land parce qu'il faut quand même les citer).
La première apparition réussie de celle qu'on ne nommera jamais Catwoman est à l'aune du reste du film : rien n'est ce qu'il paraît être. Rebondissant constamment sur ses acquis passés, en l'occurrence, ses récréations entre deux commandes de studios (Le Prestige et Inception au terme duquel le tout Hollywood lui mange dans la main), Nolan s'entoure de son frère, Jonathan, et de l'architecte des débuts, David S. Goyer, pour concocter la dernière aventure de Batman (car c'est promis, on ne l'y reprendre pas). Après Ra's Al Ghul, l'Epouvantail (on ne redira jamais comme Batman Begins, en son temps, était ambitieux en termes de traitements des vilains,) et le Joker, les scénaristes emboîtent le pas au folklore existant de Gotham et sélectionnent Catwoman et Bane, plus proche de son pendant comics. Surprise, Anne Hathaway est surprenante de subtilité dans son rôle ambivalent de voleuse de haut vol rattrapée par sa notoriété et Tom Hardy est terrifiant en Bane masqué, bête tactique et foire au monstre à lui tout seul. Poursuivant dans la tranchée directe de The Dark Knight, le troisième volet ici présenté à une odeur constante de mort qui rôde, et si les ténèbres se lèvent enfin de la cité de Gotham, la lumière qui traverse les couloirs de la ville n'augurent de rien de meilleur pour Bruce Wayne, hanté, vivant reclus à la Howard Hughes au début du film.
Plus subtil que la cagoule de Michelle Pfeiffer, mais les univers diffèrent.
Le film égrène sa partition à la fois urbaine et mortifère dans une première partie réjouissante et parfois joviale - en grande partie grâce à la géniale Anne Hathaway, dont la première apparition fait partie des plus savoureux moments du film. Puis le récit bifurque vers la chute, inexorable, pour se lancer dans une seconde partie lourde d'intentions, de destins croisés, de volonté d'en finir. C'est le Rise du titre, étape de l'entraînement physique et psychologique que va endurer Bruce Wayne, sur le modèle de Batman Begins, pour revenir. L'un des moments clefs du film, mal agencé dans un récit dément, mais à l'ambition jouasse : réactualiser les puits de Lazare des comics, jouer sur l'allégorie de la fuite, de ce qui a été et de ce qui sera, passer par ce temps de pause pour réapprendre la peur à son héros lourdement touché. On se rend compte à ce moment-là que les trois films de Batman n'auront été finalement qu'une seule et même aventure au total pour le héros, en apprentissage constant grâce aux rouages retors de ces satanés scénaristes. Mais quand on voit comme les blockbusters actuels (et surtout les séries de blockbusters) sont sacrifiés, difficile de contenir sa joie face à un film qui envoie autant de bat-symboles à l'écran, quitte à s'aventurer en terrain inconnu (Batman au chevet de Gordon, un autre beau moment du film, réinventé).
Pourtant, le réalisateur, en grand maître de cérémonie, divise sa narration quitte à en saper le rythme, se permet des flashbacks en plein récit et insère des projections qui densifient le paysage mais mettent à mal la gestion temporelle de sa seconde partie, qui avait besoin de plus de rigueur pour correctement fonctionner. Presque trop ambitieux, le film prend des pans du comics l'ayant inspiré et n’hésite pas à réutiliser des figures connues, trop connues, pour poser son univers décrépi, en plein soleil mais toujours à portée des ténèbres : entre stade de football et bombe nucléaire, le film catastrophe n'est jamais loin.
En continuité totale avec les précédents chapitres consacrés au Batman, un souffle de réalisme parcoure le film, qui n'aura jamais tâché d'être aussi actuel, loin des problématiques d'un Avengers rigolard pourtant plus casse-gueule en terme de personnages. Avec The Dark Knight Rises, un parfum de mort plane dans les rues de la métropole qui se cache de moins en moins d'être New-York, où le film embrasse des thèmes on ne peut plus actuels : conflits de classes sociales, paupérisation des classes moyennes, abus sur les marchés financiers, grondement de révolution sur fin de capitalisme. Le propos est lourd à digérer, même s'il est caché sous certains moments de bravoure, d'un braquage virtuel tordu (Inception n'est pas loin) à des scènes d'action encore une fois mal pensée, même si, combinant les talents offerts, Nolan réussit la première réapparition du Batman qui annihile toute technologie autour de lui pour progresser dans l'obscurité. Thématiquement, on le sent dès le début, c'est un gloubiboulga qui n'aurait presque pas sa place dans un film lambda dit "de super-héros", les motivations de Bane trouvant peu de résonances dans la société américaine corrompue que le scénario s'efforce de décrire : le film loupe d'ailleurs son embardée transgressive, en promettant via le personnage du mercenaire une nouvelle ère du capitalisme (?), ne montrant in fine que des pillards, charognes abusant de la situation. C'est dire si Nolan s'emmêle parfois les pinceaux dans son énoncé strictement théorique, très en surface, constat lancé au visage du spectateur pour envoyer du spectacle décomplexé derrière.
Il y a néanmoins comme une amorce de destin troublé qui finit par croiser celui de Batman, en la personne du policier John Blake (Joseph Gordon-Levitt, parfait) dont le cheminement et les prises de décisions désintéressées font de lui l'un des personnages les plus concrets du film. Lequel film, de surligner encore et encore ses intentions de ne rien laisser au hasard, et d'expliquer toutes ses séquences (ah, la "Table Rase", on a bien compris ce que c'était) malgré le flou relatif dans lequel nous place la séquence d'ouverture, pur produit du schéma aveuglant dans lequel aime à nous placer Nolan.
A l'arrivée, c'est un patchwork plus ou moins réussi qui prend le dessus, tout en se permettant quelques clins d’œils à la saga papier et aux autres films du réalisateur, dont il réutilise invariablement les mêmes acteurs, jusqu'à un caméo réjouissant qui persiste néanmoins à s'autocongratuler (Cillian Murphy méritait tellement mieux). Le revers nébuleux de cette situation, c'est qu'on ne sait plus si on est vraiment familier de l'univers dressé depuis trois films, ou si on en a juste trop vu à cause de son assommante promotion, en rotation lourde depuis plusieurs mois.
Stand up. Kick ass.
Plus que jamais, Nolan aime à se poser en réalisateur mégalo, maître d'un univers qu'il a façonné à sa guise et dont il a redonné les lettres de noblesse. Souvent, le film ose les narrations parallèles d'intrigues secondaires, et tente même le diable en interrompant des dialogues qu'on suit petit à petit, au fur et à mesure de la montée progressive des évènements. Une hérésie de montage, cerclée d'une musique de plus en plus oppressante, qui malgré tout fait invariablement naître l'émotion, un constat plutôt surprenant au sein d'un blockbuster aussi froid. TDKR, c'est le système Nolan en pleine effervescence, au sérieux imperturbable, à même de piloter son incroyable machine et capable de donner à manger et à boire quand il se lâche enfin dans l'outrance, la multiplication des combinaisons, des véhicules, dans la théâtralisation extrême de ses personnages (mon dieu Alfred, pas gâté). Au final, on s'embrouille aussi en tant que spectateur même si le plaisir de l'éternelle redécouverte est souvent là, en dépit d'une réalisation à la truelle qui manque de l'ampleur exigée par le récit : quand les belligérants se font face, on doit se contenter de quelques plans tournoyants, de plans même masqués par le mouvement, pour imaginer les coups résonner sur les carcasses des combattants.
Cependant, malgré ses quelques points, il faut aussi souligner l'énorme travail consacré au personnage qui permet un aboutissement tel qu'au final, peu de sagas du genre ont réussi à offrir un spectacle total, pensé sur trois films à l'unité narrative définie. On tremble déjà à l'idée d'un possible reboot, case par laquelle est récemment passée l'homme araignée de Marvel... Or ici, Nolan a le bon goût de bel et bien terminer son travail. Les cinq dernières minutes du film offrent une conclusion intéressante à la trilogie, même si on ne peut s'enlever du crâne que quelque chose cloche avec la vision que le réalisateur a du Batman : après avoir joué avec ses motifs et thèmes récurrents avec succès pendant trois films, tout portait à croire à un destin plus tranché pour Bruce Wayne et son alter-ego maudit. A moins que dans un ultime sursaut d'humanité, le réalisateur n'ait offert au personnage la paix qu'il méritait...