Magazine Amérique latine
Lorsque dans mon article du 27 décembre dernier, sur le retrait des wagons d'origine sur la première ligne de métro ouverte à Buenos Aires, j'osais émettre le souhait que ces très élégantes voitures et leurs inconfortables mais très jolies banquettes vernies (ci-dessus) ne finissent pas en petit bois pour asado (1), je croyais sincèrement faire une simple plaisanterie qui visait le peu d'égard que le gouvernement macriste a pour la culture.
Mais ce peu d'égard vient de s'aggraver encore d'un ou plusieurs degrés. Le mépris pour la culture, pour l'histoire, pour le patrimoine que professe et revendique ce gouvernement libéral est si insondable que le Premier ministre, Horacio Rodríguez Larreta, vient de proposer publiquement que le bois dont sont construites les emblématiques voitures de la ligne A, importées de Bruges en 1913 (à grands frais, comme vous l'imaginez sans peine), serve en effet à des asados ou soit converti en planches pour scène de théâtre. Dans les deux cas, la plaisanterie est d'un goût plus qu'exécrable dans la bouche d'un responsable politique en place au plus haut niveau d'une grande ville qui prétend être ou devenir un pôle d'attraction touristique au niveau mondial. Il faudra donc que les Portègnes, qui tiennent à leur patrimoine historique et technologique, redoublent de vigilance et de solidarité pendant tout l'été, quand d'ordinaire ils s'en vont en vacances, pour obtenir de ce gouvernement local pris de folie le minimum de respect qu'un pays civilisé est en droit d'attendre d'une équipe municipale concernant un matériel centenaire et qui n'a jamais cessé de très bien fonctionner. Ce matériel, construit entre 1912 et 1919 (sans doute à de la première guerre mondiale, au cours de laquelle la Belgique a tant souffert de l'occupation allemande), est le plus vieux matériel roulant du monde !
La photo d'illustration ci-dessus a été prise à l'intérieur de l'un de ces wagons, à la station Perú, ce qui me serre d'autant plus le cœur que cette station est "la mienne", lorsque je suis à Buenos Aires. Et pas seulement la mienne, c'est la plus névralgique de tout Monserrat (elle dessert la Plaza de Mayo, les 500 premiers mètres de l'avenue du même nom, la City, c'est-à-dire le quartier des banques, la grande rue commerçante longue de 2 km qu'est Florida et le siège du gouvernement portègne...)
La colère a déjà saisi un certain nombre d'intellectuels comme le prouvent le dessin de Miguel Rep, ce matin, à la une de Página/12 et l'article consacré à ces propos d'ignare dans Mirando Al Sur...
Mythe urbain : récupération de menuiserie pour faire un asado. Réalité de l'urbanisation (2) : récupération de wagons de métro historiques pour faire un asado. (Traduction Denise Anne Clavilier)
Pour aller plus loin : lire l'article de Mirando al Sur.
(1) Asado : grand barbecue familial ou entre amis du samedi et encore plus du dimanche et de toutes les fêtes privées. Voir Trousse lexicale d'urgence dans la partie médiane de la Colonne de droite. (2) Le mot a deux sens : le fait d'aménager un endroit pour en faire un lieu d'habitations viable, donc urbanisé, et le progrès de la civilisation qui, en Occident, a toujours été compris comme une avancée de l'urbain sur le rural et le rustique.