Pour révéler les petites ficelles rédactionnelles de C&C, force est de dire que nous avons en permanence une liste de nos articles à venir dans la tête, que nous organisons tant bien que mal entre nous quatre. Par exemple, ces derniers jours, je mûrissais, paisiblement, intérieurement, désordonnément : un article sur le passage du décalé Sebastien Tellier à l'Eurovision, un article sur Wes Anderson, un article sur Wax Tailor, etcetera. Mais il y a quelques heures, un événement improbable a chamboulé l'intégrité innocente de ma pensée. Cet évenement innatendu, c'est l'écoute de Third, le prochain disc de Portishead, prévu dans les bacs à partir du 28 Avril.
Il y a là quelque chose de completement hallucinant, qui est arrivé à rivaliser et peut être même à dépasser les deux premiers opus du groupe anglais, que j'estiment pourtant plus que tout autre cédé.
Depuis des mois, la presse spécialisée se demandait comment Portishead se démarquerait de son lourd passé, quel compromis ils devraient faire pour faire évoluer leur musique. Qu'allaient-ils décider pour rivaliser avec la qualité de leurs deux premiers cédés, considérés par le monde entier comme les piliers du mouvement trip-hop? En faisant un album aux sonorités plus acoustiques (comme l'envolée solo de Beth Gibbons l'avait laissé supposer)? En faisant un album plus tourné vers la musique électronique? En creusant encore plus l'aspect urbain et industriel si cher au courant de Bristol?
Aujourd'hui, je comprends que ce questionnement stupide (qui était aussi le mien) avait omis combien la qualité de Portishead résidait justement dans leur refus du compromis. Et, ainsi, forts de leur intégrité, ils ont en effet offert un peu de tout cela au troisième né.
Il y a là, bien sûr, ce qui avait fait la qualité des deux premiers cédés du groupe au milieu des années 90', c'est à dire cette capacité à digérer les sept dernières décennies de musique, depuis la tristesse du jazz de Billie Holiday, jusqu'à l'élégance du hip-hop new-yorkais, en passant par la violence du rock des Breeders.
Mais, il y a aussi, par dessus tout cela, un peu de ce qui a ému le monde musical depuis leur deuxième album : la pureté de "Everything in its right place" de Radiohead, la sensualité de "Love can damage your health" de Telepopmusik, la nonchalance de "Lovely head" de Goldfrapp, le désordre de "5 Time Out Of 100" de Hot Hot Heat, le dénuement du "Greatest" de Cat Power...Et le résultat est renversant de violence contenue !
Mais, à mes yeux, la plus grande des qualités de cet opus, c'est de parvenir, une fois de plus, a bouleverser les courants.
En produisant une musique violente, profonde, mais difficile d'accès à la première écoute. Une modernité telle qu'elle demande du temps pour être pleinement entendue et comprise ; la sonorité industrielle de "Machine Gun", la beauté planante de la bombe mi-folk mi-électro "The rip" ou la lenteur de "Small" nous imposent de les écouter d'une manière ouverte et réfléchie.
Et c'est cela qui avait valu à Portishead l'admiration soudaine de l'Europe entière.
Jetez vous à la Fnac dès sa sortie, le 28 Avril. Un album à acheter, pas à télécharger.
Puis viendra cette date que j'attends fébrilement, celle du passage du groupe à Paris, le 5 mai.
En attendant, contentez vous de cette vidéo de The Rip, issu donc de "Third" de Portishead.