Le Goncourt des Lycéens 2012
Joël Dicker
« La vérité sur l’Affaire Harry Quebert »
Le style très prétentieux du début m’énervait. Cet écrivain célèbre depuis un premier livre « prixé » et qui n’arrivait plus à écrire, cette hantise ou plutôt cette horreur de la page blanche, ces leçons d’écriture à chaque chapitre, oui, tout ça m’énervait. Ça sent trop l’autofiction maladroite, ça m’a déplu.
Mais je me suis accroché au texte, parce qu’il est accrocheur, il faut le dire, le suspense est présent dès les premiers chapitres ; ça ne se dément pas. Sauf qu’à la longue, des incongruences sont évidentes, la réalité est trahie par des invraisemblances ; et le texte devient énorme, et oui, 660 pages, il fallait en mettre un paquet de détails, et surtout, de rebondissements.
Il nous semble dès le départ que l’écrivain, le narrateur, parle de lui. Alors cette emberlificotement avec son professeur lui aussi célèbre écrivain, et qui donne des leçons (on se demande qui donne des leçons d’écriture à qui ?), à la longue, fatigue le texte. On n’y croit plus. Et pourquoi parler d’écriture quand on écrit un roman ? Je sais, le sujet s’y prêtait ; il n’est question que de ces deux écrivains, l’élève et le professeur, devenus si amis, et dont la vie de l'un dépend de celle de l’autre, et vice et versa. Je sais, j’ai lu Vies minuscules de Michon, et j’ai été pris par les leçons d’écriture de ce livre ; mais là, avec Michon, on est dans un autre registre, les leçons sont vraisemblables, et elles le sont parce qu’elles ont été vécues au plus près, outre le fait que l’écriture est d’un niveau si élevé. On ne sent rien chez ce Dicker, cet auteur-narrateur-écrivain, que des leçons très évidentes (il faut un bon incipit, un bon premier chapitre, une chute, en toute fin, inattendue, qui n’a pu être révélée avant et qui laisse le lecteur abasourdi ; oui, il faut tout ça et...) et qui inondent les livres traitant de « comment écrire », ou « comment devenir un bon écrivain ».
Mais l’intrigue, le suspense nous tiennent ; alors je continue ma lecture. Et en une nuit, je dévore les 630 premières pages ; j’aurais dû m’arrêter là, l’intrigue était si bien menée, je m’étais pris au jeu. L’imagination de l’auteur est grande, ses rebondissements ininterrompus gardent le rythme, la structure du roman est bien affinée, les paragraphes, les phrases, les mots, s’enchaînent si facilement. Je me disais, la langue est assez simple, - des phrases courtes, qui disent bien ce qu’elles disent, des mots simples aussi pour les dire, - l’écriture n’est pas du plus grand œuvre, mais l’œuvre, celle qui a gagné ces prix, tient la route. Mais voilà, j’aurais pu imaginer mille fins meilleures que celle survenue, après ces 630 pages, enfin, je crois ; parce que cette fin (le policier et son chef de la police sont les deux tueurs ; la fin est d’une navrance, elle est mal fricotée, l’écriture vacille, on veut faire court, on fait long feu) nous fait oublier cette intrigue qui nous a amené à la 630ième page. Oui, j’aurais dû m’arrêter là ; laisser tomber les quarante dernières pages. Imaginer les fins possibles, et me réjouir, ou m’attrister, de ne pas y arriver. Et je me dis, pourquoi est-ce que l’écrivain, lui, ne s’est pas arrêté là. NON, le style américain – on n’y échappe pas, on dirait le livre écrit par un Américain, ou encore, un Canadien, - demande une fin, belle (au sens où le meurtrier est découvert) ou pas, mais une fin ; on ne peut laisser le lecteur dans les limbes. Le meurtre est élucidé avec une pirouette, on dirait du mauvais polar, alors que, jusque là, on était, on se sentait lecteur d’un des meilleurs polars jamais écrits, on se disait les « prix » avaient raison.
Et cet écrivain, comment parle-t-il de « l’amour » ? Avec peu de mots, avec des « formidable », des « extraordinaire », avec des mots si peu émouvant, avec si peu de cœur, avec si peu d’exemples. Et tous ces NOLA, NOLA, NOLA qui couvrent des pages; vraiment tout cela est peu convaincant. Oui, le narrateur ne nous donne aucun exemple. Il nous parle sans arrêt de cet écrivain si célèbre, qui a écrit un livre si célèbre sur l’amour, mais sans jamais nous présenter un seul extrait de ces « mots d’amour » dits et écrits qui nous auraient montré une telle ferveur et une telle folie d’amour à nulles autres pareilles. C’est le livre d’amour du siècle, dit-il, c’est l’écrivain du siècle qui a écrit le livre que l’on ne reverra jamais plus pour dire l’amour de cette façon ; et il ne nous présente aucun « exemple » de ce livre. Je repense à ce premier livre que j’avais lu de Marc Lévi, « Et si c’était vrai », - on dit de cet auteur qu’il n’est pas un écrivain, et on a sans doute raison, quoique – et à « ses mots d'amour » qui m’avaient touché; et bien, je crois que je devrais relire ces « mots d’amour », - et les comparer à ce texte qui en est dépourvu, c’est mon sentiment, - parce que je crois que les mots de Lévi transcendaient le livre et qu’ils nous amenaient, je garde cette impression, dans le véritable monde de l’amour. Je m’égare peut-être.
Alors, si je reviens à ce livre, je me demande bien pourquoi il a eu ce prix de l’Académie française. Pour celui des lycéens, je vois, ou je comprends ; pas parce que ces lecteurs du Lycée sont jeunes et qu’ils se seraient laissés berner par l’intrigue. Non, le livre est bien écrit, c’est un polar, et l’intrigue est bien menée.
Mais l’écriture, la littérature, pour moi, c’est autre chose ; la langue m’a déçu, et l’Académie s’est trompée, c’est mon sentiment.