Après avoir discuté un peu des mues d’insectes, nous allons aujourd’hui aborder la seconde partie du TP sur les fonctions de relations des hexapodes en se penchant sur leur système respiratoire.
Ne vous êtes vous jamais demandé comment soufflent, expirent, inspirent et halètent nos braves petites bestioles à 6 pattes? Sont-elles munies de minuscules poumons? Que nenni!
Les insectes, (et les hexapodes par extension), sont caractérisés par une respiration employant un réseau de trachées. Alors non, pas ce genre de trachée là, faite de tissus fibro-cartilagineux:
Mais plutôt ce genre de trachées, constituées de chitine:
Si on a appelé ces structures des trachées, c’est bien parce qu’elles ressemblent à des trachées de tétrapode avec cette forme en tube et ces multiples anneaux sur toute leur longueur. Et alors que nous ne possédons qu’une trachée, les hexapodes en possèdent tout plein et de tailles différentes: les plus grosses débouchent sur l’extérieur par des orifices externes qu’on appelle des stigmates et se ramifient à l’intérieur du corps en de nombreuses trachées plus fines appelées trachéoles et qui vont aboutir dans les différentes cellules du corps de l’insecte pour y amener l’oxygène et récupérer le dioxyde de carbone.
Tout ceci constitue le réseau respiratoire complexe de l’insecte comme ici chez une Leste :
… ou encore ici chez une blatte:
C’est d’ailleurs sur une dissection de blatte que mes étudiants ont pu observer le système respiratoire trachéen d’un insecte: à l’œil nu, ça ressemble à un fouillis duveteux de petits tubules blancs et brillants qu’ils peuvent prélever et observer sous microscope:
Or donc, ces trachées sont constituées de chitine, la molécule qui participe à la structure de la cuticule des insectes: leur fameux exosquelette. Est-ce ça veut dire que les trachées font partie de l’exosquelette des insectes? Et bien oui! Les trachées sont des extensions de l’exosquelette qui pénètrent à l’intérieur de l’animal pour permettre la diffusion de l’oxygène. Pour s’en persuader, il suffit d’observer une mue d’insectes, comme celle de cette photo sauvagement piquée au blog Les poissons n’existent pas et représentant une mue de cigale :
Vous voyez tous ces petits filaments à l’intérieur de la mue? Et bien ce sont des trachées! En se débarrassant de l’intégralité de son exosquelette, la cigale se débarrasse également de ses vieilles trachées et les troque pour de belles trachées neuves. C’est comme si un serpent, en se débarrassant de sa vieille peau, crachait aussi ses poumons… Ouais je sais, y’a plus glamour comme image…
Le réseau trachéen de l’insecte communique avec l’extérieur via des stigmates dont le nombre et la taille varient en fonction des espèces mais qui schématiquement ressemblent grosso-modo à ça:
Un stigmate en microscopie électronique à balayage, c’est classieux et ça ressemble à ça:
Et les stigmates (ou spiracles) sont fort visibles chez certaines chenilles, comme celle d’Actias selene :
Ces stigmates fonctionnent comme des valves musculaires et leur ouverture est contrôlée. Ce qui est surprenant sur le fonctionnement des stigmates, c’est que leur ouverture et fermeture régulent essentiellement les pertes en eaux de l’organisme et non la respiration. En effet, les insectes respirent essentiellement passivement, le dioxygène de l’air des trachées diffusant tranquillos dans les cellules, sans mouvement musculaire pour faire circuler l’air dans l’organisme. Du coup, cela signifie d’une part que les trachées doivent toujours être en forme de tubes ouverts ce qui est assuré par ces myriades d’anneaux qui les constituent, les ténidies, et qui sont en fait des épaississements réguliers de la cuticule. C’est la même technique employée dans notre trachée et qui est réalisée chez nous par des anneaux cartilagineux.
Mais du coup, qui dit respiration passive, dit limitation de la quantité d’oxygène apportée aux cellules de l’organisme et de fait, limitation de la taille de celui-ci.
Le fait que les hexapodes emploient un système respiratoire trachéen limite donc leur taille maximale qui n’atteindra donc probablement jamais celle des monstres des films de série Z :
J’vous avoue, c’est un brin dommage. Certains d’entre vous peuvent se demander alors comment certains insectes préhistoriques tels que Meganeuropsis permiana pouvaient atteindre des tailles bien plus conséquentes que nos insectes contemporains. Matez un peu le bestiau tout de même:
Et là une échelle de taille pour se rendre compte (avec les tailles des plus grands insectes contemporains – le Weta géant, les scarabées géants Goliathus et Titanus, et le phasme géant):
Si Meganeuropsis permiana atteignait la taille titanesque de 71cm d’envergure pour 43 cm de taille du corps, c’est que cette énorme proto-libellule vivait au permien, entre 298 et 252 millions d’années avant notre ère à une époque où le taux d’oxygène dans l’atmosphère atteignait des valeur entre 31 et 35% (contre notre taux actuel autour de 21%). Tout en maintenant cette diffusion passive de l’oxygène, Meganeuropsis permiana alimentait ses cellules avec plus d’oxygène, permettant ainsi de pouvoir titiller la catégorie des poids lourds.
A l’inverse, vu que la respiration des hexapodes s’effectue par diffusion et non une respiration pulmonaire, les toupiti insectes peuvent être véritablement riquiqui avec un système respiratoire trachéen réduit voire absent comme chez les collemboles (qui pour le coup, sont chtimimi):
Ce système respiratoire semble donc assez peu optimisé et pourtant, il s’agit du premier système respiratoire ayant permis aux hexapodes de conquérir la terre ferme il y a plus de 395 millions d’années, et ce bien avant les premiers vertébrés! Mais les insectes ne se sont pas arrêtés là et l’évolution a permis, en jouant sur la variation autour d’un même thème, l’émergence de nombreuses stratégies pour respirer et coloniser des milieux exotiques comme le milieu aérien, souterrain et même aquatique! C’est quand même un beau paradoxe ça: utiliser un système respiratoire initialement adapté à la vie terrestre pour vivre dans l’eau! Mais ça, c’est l’histoire préférée de l’évolution: d’abord on vous optimise des organes pour qu’une population colonise un milieu! Et après quelques générations, on se retrouve avec plein de populations différentes qui se retrouvent à coloniser des milieux inédits, voire même coloniser des milieu d’où proviennent leur lignée ancestrale. Exemple: filez des membres chiridiens adaptés à la reptation à des tétrapodes et voyez le bazar que ça met au bout de milliers de générations! Certains les perdent, d’autres en gardent que deux, et d’autres les customisent pour courir, nager ou voler…
Ben c’est pareil pour les insectes: initialement adaptées à la vie sur terre, nombreuses sont les lignées qui ont recolonisé le milieu aquatique… Alors il y a ceux qui peuplent le milieu aquatique, mais sans trop se mouiller comme le Gerris:
Ou encore l’hydromètre:
Ces deux types d’insectes sont inféodés au milieu aquatique mais ne font que glisser à la surface de l’eau et respirent donc comme de vulgaires blattes. Pas de quoi fouetter un scarabée niveau adaptations respiratoires.
Et puis il y a ceux qui osent mettre le bout de leurs mandibules sous la flotte pour voir ce qu’il s’y passe. Mais attention oh là, pas trop loin et en gardant presque constamment un contact avec la surface via un tube respiratoire. Ces insectes là jouent donc la stratégie du scaphandrier, tout pareil comme Tintin:
Dans cette catégorie, on retrouve la larve de l'Eristale (appelée larve queue de rat):
La "queue de rat" est en fait un siphon respiratoire souple, mobile et qui peut s'étirer ou se rétracter à volonté, selon la position de la bestiole. Ce siphon comporte 3 parties télescopiques, un peu à la manière d'une canne à pêche, et au maximum de son déploiement il atteint près d'une dizaine de cm, soit 4 à 5 fois la longueur du corps de son propriétaire!
Au terme de son développement, l’Eristale donne un imago de syrphe bien plus charmant que son stade larvaire:
Mais en passant par un stade pupal assez cracra (et qui explique bien l’appellation queue de rat):
Autre insecte amateur de siphon respiratoire, la nèpe:
Pratique pour choper de croustillantes proies!
La nèpe appartient au groupe des Népidés dans lequel on trouve d’autres espèces plus filiforme comme la Ranatre:
Mais bon, le scaphandrier, c’est marrant quelque temps, mais si on veut explorer le milieu aquatique un peu plus en profondeur, mieux vaut faire comme le commandant Cousteau et se munir de réserves d’oxygène portative!
Ben les insectes n’ont pas attendu le capitaine au bonnet rouge pour plonger avec leurs réserves d’oxygène! Regardez un peu cette Corise qui plonge avec une bulle d’air précautionneusement coincée sous l’abdomen:
Directement en contact avec les stigmates abdominaux, la corise n’a qu’à attendre que sa réserve s’épuise pour capturer une nouvelle bulle d’air à la surface.
Chez la notonecte qui nage sur le dos, la bulle est capturée par sa partie dorsale:
Et puis il y a les insectes vernis qui ont un compartiment dans lequel coincer leur bulle d’air. C’est le cas par exemple des coléoptères qui peuvent stocker une bulle d’air sous leur paire d’ailes antérieures qui sont complètement dures, les élytres. Voyez comme il est beau et fier ce dytique avec sa réserve d’oxygène bien calée sous les élytres:
Le plus malin avec cette technique de la bulle d’air, c’est qu’il y a non seulement des échanges gazeux entre le système respiratoire trachéen de l’insecte et la bulle, mais il y a aussi des échanges gazeux entre la bulle et l’eau de la mare dans laquelle se trouve l’insecte! Et oui, contrairement à nos bouteilles de plongée, la bulle d’air n’est pas étanche et il peut y avoir des échanges gazeux entre l’air de la bulle et l’eau alentour. En temps normal, la quantité de dioxygène dans l’air est en équilibre avec celle trouvée dans l’eau. On dit en langage scientifique rébarbatif que leurs pressions partielles sont égales. Cette stabilité est maintenue par des échanges gazeux partant du milieu avec la pression partielle de dioxygène la plus forte vers le milieu avec la pression partielle de dioxygène la plus faible. Et bien lorsque le dytique respire depuis sa bulle d’air, il fait diminuer la pression partielle de dioxygène dans sa bulle. Le dioxygène dissous dans l’eau autour aura alors tendance à diffuser dans la bulle!
Pratique, non? Bon le truc ballot, c’est que l’air ne contient pas que du dioxygène et que la pression partielle des autres gaz va faire réduire progressivement la taille de la bulle et contraindre le dytique à renouveler sa bulle de temps à autres. C’est quand même pas mal sachant qu’un dytique peut rester plusieurs heures sous l’eau!
Les hexapodes n’ont pas systématiquement besoin de leur système respiratoire trachéen pour respirer: les collemboles par exemple, sont si petits que l’oxygène diffuse passivement à travers leur cuticule. Et bien certains insectes aquatiques peuvent réaliser la même prouesse sous l’eau, en laissant l’oxygène dissous dans l’eau diffuser passivement à travers leurs téguments pour oxygéner les cellules de leur corps, un peu comme ce que font les grenouilles sous l’eau:
Les larves de chironomes par exemple n’ont pas de trachées et leur respiration se fait entièrement à travers la cuticule. Pour faciliter le transport gazeux à l’intérieur de la larve, elle possède même un pigment respiratoire apparenté à l’hémoglobine et qui lui donne sa couleur rouge:
Et puis pour faciliter les échanges gazeux, elle pare la partie terminale de son abdomen de splendides tubules, dernière tendance fashion chez les larves d’insectes… C’est aussi utile puisque les tubules augmentent la surface d’échange entre l’organisme et le milieu extérieur, et de fait la quantité de dioxygène absorbé.
C’est vilain au début les chironomes… et en fait ça reste assez vilain au stade adulte:
Les tubules abdominaux de la larve de chironome s’appellent des branchies sanguines. Mais d’autres insectes possèdent des branchies bien plus spécialisées, un peu à la manière des branchies de poissons:
On trouve par exemple des branchies en forme de feuilles sur l’abdomen des larves d’éphémères:
Cette fois-ci, ces branchies ne sont pas pleines de liquides avec de l’hémoglobine mais sont des extensions remplies de trachées! De véritables branchies trachéennes. Donc contrairement aux poissons pour qui les branchies servent à transférer du dioxygène dissous dans l’eau directement dans le sang, toujours à l’état dissous, les larves d’éphémères utilisent leurs branchies pour que le dioxygène dissous dans l’eau se transfère à l’état gazeux dans l’air contenu dans les trachées. En plus, ces branchies sont associées à des muscles et peuvent être battues dans l’eau pour réaliser un courant d’eau et favoriser l’oxygénation:
Les adultes perdent systématiquement leurs branchies par contre. Pour l’éphéméroptère, on a déjà vu ce que ça donne dans mon précédent article sur les mues (et attention aux leurres!)
Ce système de branchie est assez répandu chez les insectes en fait. On en trouve par exemple chez les larves de Sialis:
Et si elles perdent leurs branchies, les sialis imago s’ornent par contre de jolies petites ailes fumées:
Mais les branchies trachéennes ne se trouvent pas systématiquement sur les flancs de l’insecte et on peut les retrouver par exemple à l’extrémité de l’abdomen des larves de zygoptères (Demoiselles, agrions, qui portent donc des branchies anales au stade larvaire):
Les branchies, ce sont les trois ‘plumes’ qui garnissent l’anus de madame (ou monsieur)…
Et puis il y a les larves d’anisoptères (Libellules) chez qui on cache les branchies… dans une ampoule rectale!
Du coup, pour contempler les branchies de cette larve, il faut effectuer une dissection de l’ampoule rectale:
Mais alors, comment respire cette larve, vous demanderez-vous probablement… Et bien en pompant l’eau par l’anus pardi!
Les contractions de l’anus sont tellement efficaces pour pomper l’eau que les larves d’anisoptères peuvent s’en servir comme moyen de propulsion!
Etonnant, non? Mais surtout, une transition toute trouvée pour le dernier volet de cette palpitante série où nous aborderons le sujet de la locomotion des hexapodes. Mais en attendant, je vous laisse souffler un peu…
Références:
Bradley TJ. 2009. Animal Osmoregulation.
Gullan PJ & Cranston P. 2004. The Insects: An Outline of Entomology, 3rd ed..
Kennedy CH. 1922. The Homologies of the Tracheal Branches in the Respiratory System of Insects. Ohio Journal of Science 22, 84-89.
Animal Physiology: Mechanisms and Adaptations, Eckert, 4th Edition, David Randall, Warren Burggren, Kathleen French, Freeman and Company
Liens:
Article Les poissons n’existent pas
Article Bioteaching
Article Aramel