Abstract : L’apocalypse Joyeuse is a piece of work from an historian of Sciences, Technics and Environment. It relates how technologic progresses are always accompanied with the creation of new risks. The idea one seem to discover recently is in fact at least two hundred years old.
Jean-Baptiste Fressoz, historien des sciences, des techniques et de l’environnement dépeint dans cet ouvrage l’émergence d’une conscience des risques en parallèle aux progrès technologiques. Par sa dimension résolument historique, cette étude permet de mieux comprendre comment nos prédécesseurs ont appréhendé l’apparition de nouveaux dangers. Leur mémoire longtemps occultée nous permet de mieux cerner les problématiques actuelles de la gestion des risques.
Malgré un titre marqué par un catastrophisme amusé, cet ouvrage témoigne d’un travail de recherche étoffé et précis. L’évocation du progrès technique est souvent associée dans l’imaginaire collectif à la révolution industrielle, avec ses grosses machines fumantes et ses petits hommes fragiles. J.B. Fressoz se détourne pourtant de cette vision caricaturale pour s’intéresser à des risques moins évidents, souvent méconnus et qui touchent pourtant une société bien plus large que les seuls ouvriers de l’industrie.
Sous une forme narrative, il détaille par exemple la controverse entre les pro et les anti vaccine pour lutter contre la variole (vaut-il mieux prendre le risque de mourir par l’inoculation en se faisant vacciner ou en attrapant la variole ?). Il présente également le débat qui a eu lieu autour de la pollution des usines chimiques sur les « choses environnantes » (eau, air, sol) et les conflits de corporations que cela a pu entraîner. Il analyse enfin comment l’illumination de Paris la nuit par des lampes au gaz a été conditionnée par des éléments étrangers au simple constat de la dangerosité des réserves et conduites de gaz en plein Paris.
L’un des enseignements les plus marquants de cette étude repose sur la persistance des problématiques et mécanismes de gestion face aux risques que portent les progrès techniques. Si nous ne devions retenir que quelques aspects :
1. La perception des risques varie fortement en fonction du point de vue adopté. Beaucoup ont soutenu le principe de la vaccine, mais ne l’envisageaient pas le moins du monde s’agissant de leurs propres enfants. Encore aujourd’hui, les risques sont bien plus supportables lorsqu’ils sont pris par les autres (le fameux principe NIMBY).
2. L’histoire ne retient pas les balbutiements, mais seulement la solution finale : si au début du XIXème plusieurs méthodes coexistent pour lutter contre la variole, c’est la vaccine qui est seule considérée aujourd’hui comme responsable de l’éradication de la variole.
3. M. Chaptal illustre parfaitement en 1811 le concept de conflit d’intérêts dans l’affaire de l’insalubrité d’une manufacture d’acide dont il est propriétaire, tout en étant ministre de l’Intérieur ; un institut d’étude est certes consulté, mais son rapport est signé par Chaptal : « Ainsi le délinquant, l’expert, le juge, et le surveillant ne sont dans cette affaire qu’une seule et même personne » (p. 171)
4. Les manufacturiers de la soude artificielle ont réalisé un lobbying intense pour profiter de taxes avantageuses sur leur produit plutôt que d’importer une soude d’origine naturelle depuis l’Espagne.
5. Le facteur économique de la mise en place de mesures de protection peut subitement rendre un risque bien plus acceptable. Lorsque les experts des années 1820 ont jugé après une étude qu’il était très risqué de mettre des réserves de gaz dans Paris, le gouvernement s’est rendu compte qu’indemniser les entrepreneurs qui avaient déjà développé ces installations ainsi que tous les utilisateurs qui avaient adapté leurs équipements pour recevoir le gaz serait bien trop onéreux et a donc décidé d’une autorisation d’exploitation malgré les risques.
6. Le principe du pollueur-payeur est apparu à partir des années 1800 avec la création de ligne « dommages », « indemnités »,
« frais judiciaire » (p. 149) dans les bilans comptables des entreprises polluantes. Elles visaient à planifier le dédommagement des riverains de l’impact de leur activité sur
les cultures : un moyen de gagner une paix sociale, mais pas de protéger l’environnement.
Si Jean-Baptiste Fressoz insistait lors d’une conférence organisée par Librest et la Vie des idées le 25 septembre sur son statut d’historien et réfutait une quelconque ambition de faire une critique de la société du XXIème siècle, il esquisse néanmoins en conclusion un lien entre la gestion des risques au XIXème et les différentes époques qui ont suivi.
Ce que l’on semble découvrir aujourd’hui sous le terme de « crise environnementale » est en fait une problématique qui existait auparavant, tout comme il existe également une continuité historique des mécanismes d’approche et de gestion des risques.
Si aujourd’hui l’actualité nous pousse à remettre en cause le bien fondé de l’énergie nucléaire et des OGM, qui sait ce qu’en aura retenu la société dans quelques décennies ?
Arnaud Mangematin