Comme nous l'avions expliqué dans un précédent article, le point Godwin semblait a priori improbable dans le cadre du débat sur l'ouverture du mariage civil aux personnes de même sexe. En effet, la persécution des homosexuels par le régime nazi a laissé des traces mémorielles suffisamment importantes pour rendre un rapprochement quasiment impossible entre "nazisme" et "homosexualité". C'était sans compter sur le report au mois d'octobre du vote de cette loi au Parlement qui estime que le débat n'est pas encore assez abouti.
En effet, dans la logique de la théorie du Point Godwin, plus un débat perdure dans le temps, plus il est susceptible de sombrer dans un comparatif morbide avec les régimes totalitaires.
Une nouvelle étape vient d'être franchie le vendredi 30 novembre par la journaliste et essayiste Emmanuelle Duverger sur le site Boulevard Voltaire porté par son mari Robert Ménard.
Dans un article intitulé "Censure à la mode socialiste", elle s'emporte contre le sénateur-maire socialiste du XIXe arrondissement de Paris, Roger Madec, qui a fait couper l'électricité en plein tournage de l'émission Complément d'enquête sous prétexte qu'on lui aurait menti sur l'identité de l'invité. Il faut dire que l'invité annoncé (Louis-Georges Tin, président du Conseil représentatif des associations noires de France et du comité IDAHO de lutte contre l'homophobie et la transphobie) a finalement été remplacé par Frigide Barjot qui se présente elle-même comme "l'attachée de presse de Jésus".
La journaliste n'a alors pas de mots assez dure pour dénoncer ce qu'elle considère comme une "censure" de la part d'un "apparatchik socialiste".
Emmanuelle Duverger a cependant l'indignation variable car il ne lui semble pas gênant en revanche d'illustrer son article par une une capture d'écran de Chaplin caricaturant Hitler dans Le Dictateur, en lui ajoutant un petit rainbow flag (symbole du militantisme LGBT) sur la chemise.
Pire encore, quand on clique sur l'image pour l'enregistrer, on s'aperçoit que celle-ci a été validée avec les mots-clefs suivants : "boulevard-voltaire-roger-madec-fascisme-gay.jpg".
Aux yeux de la journaliste et de la rédaction de Boulevard Voltaire, le geste du Maire du XIXe arrondissement est donc assimilable à une forme de "fascisme gay" dont l'élu de la République serait un représentant.
La thèse semblait visiblement un peu trop caricaturale (et juridiquement dangereuse) pour être littéralement défendue dans le texte, mais des traces subliminales de cette position extrémiste ont été conservées dans l'illustration. D'ailleurs, à lire les commentaires des lecteurs, le message a été parfaitement compris par sa cible !
Cette dernière manifestation du point Godwin est à rapprocher de la déclaration du député UMP Nicolas Dhuicq à l'Assemblée nationale le mardi 27 novembre 2012. Dans une tirade mémorable, ce dernier a expliqué sans rougir que les enfants élevés par des homosexuels sont des terroristes en puissance :
"Vous me permettrez de considérer que souvent le terroriste a un défaut : il n’a jamais rencontré l’autorité paternelle le plus souvent, il n’a jamais eu de rapport avec les limites et avec le cadre parental, il n’a jamais eu cette possibilité de savoir ce qui est faisable ou non faisable, ce qui est bien ou mal (...) N’y a-t-il pas une certaine contradiction, M. le ministre, dans vos propos et ceux de votre gouvernement, alors que vous cherchez désespérément à reposer un cadre, à, dans le même temps, soutenir un projet de loi qui va jusqu’à rayer le mot de père du code civil.".
Cette déclaration est à mon sens une manifestation assez évidente de l'évolution de la théorie du Point Godwin et de notre régime mémoriel occidental.
Pendant plusieurs décennies, cette théorie a fonctionné en référence au nazisme (et parfois au stalinisme) car ces deux phénomènes historiques ont été construits et considérés comme le summum de la barbarie que pouvait atteindre l'humanité.
Nous avons rappelé à plusieurs reprises dans les articles consacrés à cette théorie qu'elle ne pouvait cependant pas être considérée comme universelle car d'autres civilisations ne se reconnaissent pas dans cette échelle de l'horreur. Or, il semble également que cette théorie soit destinée à évoluer assez rapidement dans notre propre régime mémoriel dans lequel les actions terroristes telles que les attentats, les lapidations et autres mises à morts brutales tendent à remplacer peu à peu le référentiel omniprésent des camps d'extermination.
Cette hypothèse sera vérifiée dans les prochains mois par l'intermédiaire des articles de cette rubrique qui vise à préparer une synthèse plus complète sur cette théorie du Point Godwin qui n'a
en fait jamais été théorisée par son concepteur.