Vhils - Crédit Photo : Emporium
Le Musée de la Poste organise jusqu’au 30 mars une grande exposition de street art retraçant en une quinzaine d’artistes, l’histoire de cette pratique artistique et le développement de techniques toujours plus variées et inventives. Le mobilier urbain étant souvent prétexte à intervention, notamment les boîtes aux lettres, ma première réaction a été de sourire en pensant que la Poste était enfin fair play avec les artistes vagabonds en reconnaissant leur travail plutôt qu’en cherchant à effacer leurs réalisations.
Au-delà du street art présente soixante-dix œuvres, déployant un riche éventail de pratiques et de propos depuis les pionniers de l’art urbain en France avec des photographies d’interventions signées Ernest Pignon Ernest, dont les collages à partir de sérigraphies alliant esthétique sensible et message fort ont marqué énormément les artistes actuels, l’inventivité et le grain de folie douce de Gérard Zlotykamien, les pochoirs de Blek le Rat, les hommes blancs de Jérôme Mesnager ou encore Jef Aérosol.
Gérard Zlotykamien - Crédit Photo : Emporium
Blek le rat - Crédit Photo : Emporium
Découvrir des artistes issus de la rue dans les musées et les galeries, c’est se confronter aux contradictions qui tiraillent le mouvement aujourd’hui, celui d’une sous-culture devenue mainstream. Le street art de par sa nature profonde engendre une multitude de genres esthétiques, infinité de supports, infinité de pratiques. Il s’agit pour les créateurs d’investir le territoire de la ville par un moyen ou un autre. Ces pratiques fortement ancrées font de la cité à la fois le périmètre d’intervention et l’argument artistique, fragment d’espace en amont justifiant la réalisation. L’art urbain se présente comme une célébration de la ville moderne, chronotope essentiel de la création, y apportant un facteur de mutation esthétique fort et formalisant de manière inédite l’expression artistique.
Céline Neveux, commissaire de l’exposition, a fait appel à onze artistes, de générations, de techniques et de pays différents : Shepard Fairey (US), Miss.Tic (FR), Swoon (US), Vhils (PT), C215 (FR), Dran (FR), Banksy (GB), Ludo (FR), L’Atlas (FR), Rero (FR) et Invader (FR). Chacun est représenté par une section dans laquelle est exposé son travail avec des créations représentatives du parcours artistique, l’évolution des pratiques et de la vision esthétique. L’exposition comporte une large sélection d’œuvres très disparates issues de collections privées et de galeries internationales ainsi que six installations inédites réalisées en exclusivité pour l’événement par C215, L’Atlas, Ludo, Miss Tic, Rero et Vhils. A cela s’ajoute la diffusion de documentaires évoquant le travail dans la rue, les interventions artistiques in sitù sur les murs de la ville selon les principes de clandestinité et de furtivité.
Miss Tic - Crédit Photo : Emporium
En sortant des ateliers pour se confronter à l’espace urbain, sa géographie particulière, ouvrant le champ des possibles, champs artistiques pluralisés, le street art a vu émerger de nouvelles disciplines en adéquation avec les mutations esthétiques rendues impérative par une adaptationau milieu d’émergence. Peu à peu le langage artistique se transforme en suivant une logique d’hybridation qui entraîne l’invention de formes tout en conservant un effet de reflet entre l’œuvre qui prend vie, qui s’incarne dans le territoire artistique et le périmètre d’intervention.
C215 - Crédit Photo : Emporium
C215 - Crédit Photo : Emporium
A ses pochoirs, silhouettes féminines provocantes, sensuelles ou très sages, Miss Ticajoute un aphorisme plein de poésie, d’esprit, d’humour. C’est également à la poésie que l’on songe lorsque l’on contemple les visages qui hantent les œuvres de Christian Guény alias C215. Il alterne entre visage d’enfants plein de naïveté, d’espoir des lendemains à venir et visages de sans-abris burinés par la vie, malmenés par une existence âpre. Et c’est toujours la même émotion lumineuse qui nous cueille et nous embarque devant chacune de ses œuvres.
Vhils - Crédit Photo : Emporium
Au-delà du street art accueille notamment un artiste portugais dont le travail me fascine tant il est à la fois brut et plein de finesse, oxymore artistique à lui tout seul, il s’agit d’Alexandre Farto dit Vhils. Le projet Scratching the Surface l’a rendu célèbre à travers le monde entier. Les murs sont gravés au burin, au marteau piqueur parfois même à l’explosif et les fresques peuvent atteindre des dimensions impressionnantes pour une technique aussi subtile, allant jusqu’à recouvrir toute une façade d’immeuble moderne. L’exposition m’a permis de découvrir certaines facettes de son œuvre que je connaissais moins comme les accumulations d’affiches et de journaux ensuite travaillées dans le volume, découpées, arrachées pour retrouver le tracé délicat et expressif des visages au centre de ses réflexions créatrices. Ainsi que les plaques de métal gravées à l’acide.
La pratique de l’art urbain est à l’origine de l’irruption d’espaces artistiques pluridisciplinaires au sein même de la ville. Les œuvres sont réalisées en suivant le principe d’immersion en prise directe avec le regard et l’appréciation des citadins, acteurs aussi indispensables que l’artiste dans cet art du geste public. Cette interactivité explique l’intensité, l’ancrage profond et le magnétisme de cette culture qui se développe par un phénomène d’insémination, de viralité.
© Shepard Fairey - Hope
Les artistes de street art répondent à une logique de l’appropriation libertaire. Shepard Fairey, par exemple, cherche à diffuser un message politique, à redonner un espace de liberté à la ville quadrillée par la pub et l’esthétique conventionnelle. L’intervention de street art est définie par une intégration naturelle au lieu de surgissement. Le graffeur développe un goût délibéré de l’intrusion et une certaine défiance par rapport aux programmes officiels. Son art est une réponse en réaction à l’arrogance des normes institutionnelles qui imposent autoritairement une esthétiqueincluant la préservation somptuaire du périmètre urbain dans le but de satisfaire une curiosité touristique, la revendication d’un espace de la cité assujetti à la publicité seule voix autorisée à s’exprimer.
Invader, "Black extension", mosaïque sur panneau © Invader
Le marché de l’art se sentant à l’étroit dans son aire traditionnelle, le street art lui apporte une nouvelle dynamique. La dimension fugitive de l’œuvre réalisée dans la rue apporte une poésie violente, une beauté sauvage à cet art simple, mobile, spontané dont la forme radicalement éphémère évolue au rythme de la ville. L’œuvre propulsée de manière nouvelle et totalement libre dans l’espace public implique une incertitude de résultat que ne connaît pas l’artiste qui expose exclusivement en galerie. Le lien entre la rue et la galerie doit se faire naturellement pour permettre au mouvement d’acquérir reconnaissance et crédibilité. Une intégration jugée nécessaire qui pose des questions quant à la nature rebelle, insoumise et iconoclaste de l’art urbain. Il y a une certaine schizophrénie dans ce processus. Par exemple, il y a quelques années, Invader assiste au vernissage d’une exposition présentant notamment certaines de ses œuvres au Musée d’Art Contemporain à Los Angeles. Au cours de la soirée, il se lasse et décide de sortir afin de coller l’un de ses fameux aliens pixélisés sur l’un des murs du musée. La police intervient et l’embarque. Arrêté pour avoir reproduit à l’extérieur ce que l’intelligentsia célébrait à l’intérieur.
"Laugh now", sérigraphie sur pochette disque © Banksy
Le 7 février aura lieu une conférence avec des acteurs de la scène artistique urbaine visant à comprendre les enjeux du mouvement et aller plus loin dans la réflexion. Une exposition intéressante, pour découvrir ou faire découvrir le mouvement street art même aux plus réfractaires. Par contre les photos sont interdites et les gardiens rudement plus vifs qu’à la Fondation Cartier, ce qui est assez agaçant. Encore un coup des galeristes et autres propriétaires des œuvres ! Je rappelle que Banksy a renoncé totalement à ses copyrights, l’une des raisons pour lesquelles ses pochoirs sont reproduits en Angleterre sur tout et n’importe quoi, mugs, vaisselle, linge de maison, papeterie… Errances du capitalisme. Crédit Photo : Emporium
Au-delà du Street Art dans la galerie du messagerExposition jusqu’au 30 mars 2013L'Adresse - Musée de la Poste34, boulevard Raspail - Paris 15
Tél : 01 42 79 23 27
Horaires : ouvert du lundi au samedi de 10h à 18h.
Plein tarif : 6,50euros.
Renseignements : www.laposte.fr/adressemusée/