Photo : Annabelle Fouquet, PerspectiveÀ gauche : Epa (panneaux), entre 1800 et 1900, d’une tribu inconnue, en bois de totara et coquille d’abalone. À droite : Poupou (poteau de soutien à figure masculine) pour mémorial, 1850, sculpté par Iwikau Te Heuheu T?kino III, tribu Ngati Tuwharetoa, en bois de totara.
L’exposition E Tu Ake – Maori debout du Musée de la civilisation, une leçon de ténacité
Plonger dans la culture maorie, c’est plonger dans un monde bien lointain, à l’autre extrême de notre train-train quotidien de Nord-Américain occidentalisé. L’exposition E Tu Ake – Maori debout que présente depuis cet automne le Musée de la civilisation, à Québec, permet cette expédition à coup d’objets d’un raffinement et d’une précision étonnants. Notez que l’établissement reste ouvert le 1er janvier.
En cette période de fêtes d’origine chrétienne, de consommation parfois démesurée et de neige abondante, l’exposition E Tu Ake – Maori debout, réalisée par le Museum of New Zealand Te Papa Tongarewa, ne pouvait mieux tomber. L’impression de voyager au bout du monde n’en sera que plus grande et l’exotisme mis en place au Musée de la civilisation, que plus gratifiant.
Le dépaysement vous prend de court dès l’entrée dans la salle d’exposition : le parcours débute par une invitation à toucher une pierre. Si les objets qu’on peut toucher ne sont plus une rareté dans les musées, celui-ci n’a rien du bidule interactif et tout du bijou à protéger. Or cette pierre de la famille du jade, appelée Hine Kaitaka, jouit d’une « force vitale » destinée à tous, êtres vivants ou choses inanimées. On gagne à la caresser, comme on gagnait autrefois à tremper nos doigts dans l’eau bénite à l’entrée de l’église.
Peuple indigène d’Aotearoa (Nouvelle-Zélande), les Maoris ont leurs propres rites, leurs propres croyances. L’expo en donne un bon aperçu : masques, parures, pendentifs ; en tout, 155 objets, certains très grands, comme des pirogues ou des panneaux de maison, sont à voir – et non à toucher, finalement. À l’instar de celles de tous les peuples autochtones, la culture maorie entretient avec la nature une communion qui s’exprime par un goût pour la matière, comme la pierre Hine Kaitaka, mais aussi le bois et les coquillages, sur lesquels sont dessinés des motifs d’une grande précision.
Identitaire, l’art maori s’exprime par le tatouage – rappelez-vous le film Once Were Warriors (Lee Tamahori, 1994). Chez les communautés du Pacifique oriental, la peau est perforée, puis colorée à l’aide de pigments noirs. Les Maoris travaillent sur le corps humain comme ils le font sur le bois. Une section de l’expo montre que les tatouages sur le visage sont une pratique adoptée particulièrement par les femmes.
Les photos réunies ici, sensibles et fidèles à une documentation ethnographique plus respectueuse qu’à l’époque des colonies, sont à découvrir à l’ombre de plusieurs exemples de figures humaines peintes sur bois. Les « pou tokomanawa », piliers centraux de maisons à l’effigie d’ancêtres, ont quelque chose du totem nord-américain, par la verticalité, les formes arrondies et l’expression du regard.
Éminents visages
Le visage domine dans cette plongée offerte par le Musée de la civilisation. Il a valeur de symbole. Il y en a un en particulier qui est vénéré, celui du chef Wiremu Te Manewha (mort en 1891), dont le moulage du faciès en plâtre, réalisé alors qu’il était encore en vie, fait partie de l’exposition. Te Manewha est reconnu comme un guerrier et un dirigeant hors pair.
L’histoire des Maoris en est une de revendications et de luttes pour l’autodétermination. Les principales étapes de ce combat pour la sauvegarde d’une culture et d’une langue rythment la présentation d’E Tu Ake – Maori debout. Documents d’archives, photos, tracts, drapeaux, pancartes retracent tour à tour la Marche maorie pour la terre de 1975, l’occupation de Bastion Point de 1978 et la manifestation pour le littoral et les fonds marins de 2004.
Même si ce peuple vit selon l’axiome « le passé est devant, l’avenir est derrière » et cultive la parole des ancêtres, l’art arrive quand même à s’exprimer sous des formes très actuelles, voire novatrices. Plusieurs oeuvres d’artistes maoris de réputation internationale ont été dispersées à travers les différents sous-thèmes. Les animations numériques de Reuben Paterson, la peinture dépouillée et spirituelle de Darryn George ou les personnages tribaux à l’acrylique de Shane Cotton sont parmi les plus remarquables.
Si en fin de compte la présentation ne bouscule pas les habitudes des visiteurs de musées occidentaux (la scénographie est du Musée de la civilisation), l’exposition respire l’authenticité d’un bout à l’autre. Rappelons que c’est une équipe néo-zélandaise qui est derrière la conception d’E Tu Ake. Et tous les objets, sauf erreur, proviennent du musée Te Papa. Le Musée du quai Branly avait accueilli l’exposition à Paris à la fin de 2011. Le musée québécois ne reproduit pas ce qui a été fait là-bas, sauf pour la publication. Le catalogue mis en vente ici est celui édité en France.
Collaborateur