L’amant des statues
Mi-zèbre, mi femme, centaure,
O baigneuse au rebelle torse,
Que la rame au hasard découvre,
Puisque tu ne peux pas aimer
Marbre surgi bouillant des mers
Sache au moins, devançant le Louvre,
La docilité des statues.
Depuis que Zéphyr t’a battue
Rose, tu l’aimes davantage.
Onde, amour à tous les étages :
Seul manque le fouet de Xerxès
Que de leurs écumes d’amour
Baigneuses et mer remerciaient.
Ainsi, pour vibrer, le tambour
Attend d’être roué de coups ;
Et, se faisant prier, le cygne
Si nous voulons l’entendre exige
Qu’au moins on lui coupe le cou.
Sachez encore ce qui la tue :
Elle meurt comme toi, statue,
De ne connaître des vivants
Que leurs hommages décevants,
Et que des seuls feux du dehors
Puisse être illuminé son corps.
Accrochez des lampions aux arbres,
De leur fard colorant le marbre ;
Devant ce pourpre et faux émoi,
L’amant pâlit, verdit de joie.
Des roses à toutes les bouches,
Et des lampions à nos fenêtres,
Sur le port des soldats débouchent,
C’est à ne plus s’y reconnaître.
Ne pavoisons pas : car mon cœur
Saura prodiguer la lumière
Dont je souhaitais tout à l’heure
Que vous l’arborassiez première !
Raymond Radiguet Poèmes inédits Œuvres complètes Ed. Omnibus (07/2012) p. 149-150Image : portrait de Raymond Radiguet par Jacques-Emile BLANCHE