Jean-Claude Fignolé : Les possédés de la pleine lune

Par Gangoueus @lareus


Tout le monde se représente aisément une spirale. Pour faire simple, prenez une perceuse et observez l’évolution d’une strie pour comprendre ce qu’est une spirale. Elle est avant le fruit combiné d’une rotation et d’une translation. Supposons que nous assimilions la variable temps à l’axe de rotation à partir duquel nous procédons à de multiples translations,  et que différents points du cercle primordial soient des voix qui s’expriment, alors on peut commencer à imaginer cette fameuse spirale littéraire qu’ont créé plusieurs hommes de lettres haïtiens comme Frankétienne, René Philoctète ou Jean-Claude Fignolédont le roman, Les possédés de la pleine lune, fera l’objet de notre attention ce jour.
Roman polyphonique dans un mouvement perpétuel de va-et-vient entre le passé et le présent pour comprendre, pour expliquer, pour dire une ou des tragédies. C'est un résumé assez juste de la trame de ce texte.
Agenor est un pécheur singulier. Dans le petit village en bord de mer des Abricots, il pêche de nuit et sa réputation n’est plus à faire. Connaissant la nuit haïtienne d’un point de vue littéraire, tout de suite, je me suis embarqué dans une affaire où l’imaginaire extrêmement fertile haïtien allait se déployer avec force. Agenor a été blessé dans son corps à corps avec un poisson mythique, le savale. Il y a perdu un œil, le poisson aussi et il ne s’est jamais remis de cet handicap et chaque nuit de pleine lune, son âme chargé d’amertume et d’une sourde soif de vengeance le conduit à la quête de cet animal marin au grand désespoir de Saintmilia, son épouse inféconde.
Vous indiquer comment commence le roman quand on traite d’une spirale n’a pas vraiment de sens, puisque ce qui prime c’est avant tout le mouvement imprimé par la spirale qui entraine un changement de voix réguliers, sans à-coup, sans crier « gare ! ». Mieux vaut évoquer ces différentes voix. Naturellement, celle d’Agénor qui traduit un monologue intérieur où se mêlent les frustrations, la quête de l’animal mythique, le regard sur sa femme, son égo blessé. Celle de Saintmilia qui traduit  l’attente de l’homme, de la vie que l’on veut donner, l’incompréhension, les sentiments enfouis, l’indépendance matérielle. Celle de Violetta, amoureuse. Un amour étrange dont je ne parlerai pas. La haine, sourde, très différente de celle d’Agenor, la haine que porte Louiortesse, un des hommes forts des Abricots, héritier, coureur de jupons, homme vaincu, amoureux éconduit, bourlingueur. Louiortesse m’a fait penser à Gervilis dans les Gouverneurs de la rosée de Jacques Roumain. D’ailleurs, parce qu’on ne peut s’amuser à évoquer le discours des différentes voix, si nombreuses, je vais profiter de la mention de Gervilis pour évoquer, à mon sens, deux influences littéraires qui me semblent apparentes à la lecture de la dernière page de ce grand roman de Jean-Claude Fignolé : Le vieil homme et la mer d’Ernest Hemingway et Gouverneurs de la rosée de Jean-Jacques Roumain.
Le premier pour ce combat épique entre l’homme et l’animal qui introduit des valeurs de persévérance, de puissance, de combattivité. Sauf qu’à la sauce haïtienne, l’imaginaire prend des formes qui permettent de dépasser ce que l’on voit pour relever un surnaturel oppressant. Pour le reste la mer, un pêcheur haïtien, un pêcheur cubain, la misère et la quête de l’exploit.

Le second pour mieux évoquer la tragédie de cet arrière-pays haïtien soumis aux éléments naturels, cyclones, raz-de-marées, mais surtout aux haines sourdes qui survivent à des décennies, et l’amour bien entendu.
Au niveau de l’écriture, et c’est en cela que les parallèles ci-dessus n’iront pas plus loin, la poétique de Jean-Claude Fignolé est simplement admirable. La force de ce point de vue de l’auteur haïtien est de maintenir de bout en bout une telle qualité d’écriture.
Le texte aborde bien la question de la possession. Une possession spirituelle. Ce n’est pas une simple question de passion amoureuse ou haineuse.
Ma chronique est déjà beaucoup trop longue, mais vous aurez compris qu’il y a encore beaucoup de choses à dire. Découvrez ce texte, avec la patience du diamantaire à l’assaut d’une belle pièce. Bonne lecture.
Jean-Claude Fignolé, Les possédés de la pleine lune

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