Dressés comme des sentinelles des nécropoles de l'antique Thèbes, les colosses de Memnon ne seront plus seulement deux mais quatre dès l'an prochain
C'est à une révolution du regard et de la compréhension d'un lieu mythique qui fascine depuis 2000 ans des générations de voyageurs qu'oeuvre patiemment une équipe d'archéologues et d'experts de 12 pays.
"Cela produira, c'est sûr, un choc !", dit à l'AFP Hourig Sourouzian, l'enthousiaste directrice du projet.
Début 2009, deux autres statues géantes du pharaon Aménophis III seront redressées, à cent mètres derrière les célèbres colosses. Deux autres, encore à moitié enfouies, devraient l'être à leur tour dans les années à venir.
Assis au milieu des cultures au vert intense, les deux géants de pierre de 18 mètres semblaient garder la voie des temples et tombes pharaoniques creusées dans les oueds de l'ocre montagne de la rive ouest de Louxor.
Au-delà des légendes, les colosses étaient les seuls vestiges du temple funéraire d'Aménophis (Amenhotep) III, souverain de la 18ème dynastie, et père du pharaon dissident, Akhenaton. Il régna de 1391 à 1353 avant notre ère.
La crue du Nil, le pillage par d'autres pharaons et un séisme en 27 avant J.C ont mis à ras depuis fort longtemps l'immense temple "de millions d'années" de Kom al-Hettan.
Alors qu'il était dans un état désastreux, en raison de l'irrigation permanente des champs voisins, Hourig Sourouzian, une archéologue arménienne réputée, décida de sauver le site il y a dix ans.
Avec son époux, Rainer Stadelmann, ex-patron de l'Institut archéologique allemand et auteur du premier examen photogrammétrique, des mesures d'urgence furent prises sous les auspices du Conseil suprême des antiquités.
Le site fut classé en 1998, puis en 2004, parmi les cent sites les plus menacés dans le monde par le World Monument Fund, une ONG internationale basée à New York, avec des dons à la clef.
C'est à partir de 2000 que l'aventure prit une tournure aussi excitante que critique: des trésors semblaient affleurer le sol mais les caisses étaient vides.
Grâce à un Français, Alain Fouquet, une association des Amis des Colosses de Memnon fut fondée et financée par une très généreuse mécène, Monique Hennessy. La Förderverein Memnon de Munich, fondée par Ursula Lewenton fit aussi un don important.
"A partir de là, tout devenait possible", dit Hourig Sourouzian. Avec une équipe internationale, et 250 ouvriers égyptiens, les campagnes annuelles de fouilles se firent incroyablement fructueuses.
Quatre colosses d'Aménophis III ont été découverts en morceaux depuis huit ans, ainsi que deux sphynx, 84 statues de la déesse Sekhmet, ou une stèle dont les 150 fragments étaient éparpillés sur le site qu'il faut sans cesse draîner.
Lors de la campagne, la dixième, qui s'achève début avril, a été mise à jour une statue de 3,60 mètres de Tiya, l'épouse d'Aménophis III, qui gisait sous la jambe droite du colosse royal.
"Elle est d'une beauté extraordinaire", dit Hourig Sourouzian. Elle se tiendra debout accolée à son époux après la mise en place, début 2009, de deux colosses en quartz rouge de 15 mètres au niveau du 2ème pylône du temple.
Les deux autres colosses en albâtre, ce qui est rarissime, ne sont pas encore prêts à reprendre leur place au niveau du 3ème pylône. Les colosses de Memnon encadraient, eux, l'entrée du temple.
D'ici cinq ans les statues de Sekhmet, la déesse à tête de lionne et corps de femme, pourraient être disposées dans le péristyle comme "dans un musée à ciel ouvert, l'un des plus importants du monde pharaonique", dit Mme Sourouzian.
A la différence d'autres temples funéraires voisins, ceux de Ramsès II, le Ramasseum, et de Ramsès III, à Medinet Abou, "nous admirerons le contenu d'un temple, et non pas seulement son enveloppe", dit-elle.
Reconstruction, ou résurrection ? Ce qui ailleurs ferait débat lui semble tout tranché. "Nous n'inventons rien, on remet à sa place ce qui menaçait de disparaitre à jamais. Un temple vivait ici, pas seulement des colosses".
Par Alain NAVARRO
AFP