La chambre d’écoute.
Rompant avec tous les codes de la pop contemporaine, Magic Trick – littéralement le tour de magie –et son grand architecte Tim Cohen proposent à l’auditeur un voyage inattendu. The Glad Birth Of Love a de quoi surprendre, pire, rebuter celles et ceux qui se sont accoutumés ces dernières années à la marchandisation de la musique via le support, forcément pauvre, du mp3. Les deux faces de l’album s’articulent autour de quatre morceaux variablement longs et dont la tessiture propre à chacun – un autre facteur de déperdition commerciale – achèvera de faire fuir les derniers. Reste quelques braves, vous. Contrairement aux apparences dont il convient de se méfier proverbialement, la complexité des titres n’occulte en rien une certaine lisibilité et il suffit d’une première écoute, simple mais attentive, pour se convaincre de la réussite de l’entreprise. San Franciscain d’origine, Tim Cohen a délaissé ses influences pop et la fée électricité pour explorer un acid folk des plus ambitieux. Ce qui frappe ici c’est le raisonnement de son géniteur, pas seulement l’écriture, mais plus largement la conception du Lp. Le mot semble trouver ici tout son sens : Long Play. Le songwriter a sans aucun doute voulu retrouver l’émotion primale de ces albums pop antiques qui répondaient alors à un rituel quasi religieux. Et toujours immuable. Le futur acquéreur, jeune adolescent en rupture de ban avec la société des adultes, se rendait chez son disquaire habituel. Une fois arrivé dans le réduit poussiéreux distillant dans l’air un parfum de nouveauté, ce dernier s’enquerrait de sa bonne fortune, soupesant chaque pièce. Allait-il avoir assez pour se procurer l’objet tant convoité ? Après achat, il s’en retournait chez lui, montait frénétiquement les escaliers et s’enfermait dans sa chambre. LA CHAMBRE D’ÉCOUTE. Une fois confortablement installé, il déballait précautionneusement le disque, l’ouvrait, l’observait, le humait, en caressait la précieuse surface puis retirait le vinyle noir et brillant. Qu’il posait finalement sur sa platine. Le diamant arrimé semblait flotter au rythme des tours, rapides et perpétuels. Manège heureux d’une jeunesse en suspens. La musique se diffusait subitement dans toute la pièce, tantôt douce, tantôt violente, comme les fragrances d’un thé encore fumant. Généralement, la tête commençait à s’affaisser, non pas que le jeune homme s’endormit, brisé par l’excitation de la journée, par la découverte du classique éternel ou du trésor inconnu. À cet instant très précis il se mettait à planer, parfois aidé par quelques opiacés, loin, très loin de l’ordre domestique et du fracas historique. A mille lieux de cette société de consommation tristement radieuse. Les minutes sont des heures et notre garçon le sait pour ne plus se rendre compte de rien si ce n’est de la musique, pleine, volubile, généreuse, pour perdre ainsi pied comme un cosmonaute happé par le vide foisonnant de l’espace. Un léger bruit, le diamant butant sur le dernier sillon, lui indique un changement rapide de face afin de ne pas briser la Magie. Puis la musique reprend dans un craquement chaud, tournant, ondulant, valsant et avec elle l’esprit du jeune homme. Sentiment de bonheur, extase faite son, promenade spirituelle. Il arrive souvent que l’âme se mette à divaguer, oui la musique possède cette étonnante propriété. Un son, une mélodie rappellent immédiatement une impression, un souvenir : un baiser échangé plus tôt avec une jeune fille rondelette quoique ravissante. Les petites couettes blondes paraissent danser devant ses yeux. Il se rappelle aussi la lumière, l’emplacement du soleil, la chaleur sur sa peau, le timide grésillement des ongles quand les doigts se frôlent. Il tire sur sa cigarette une ample bouffée puis recrache les volutes qui forment des cercles parfaits dans la perspective de son regard. La musique accompagne sa rêverie ou l’a-t-elle provoquée, il ne sait plus très bien mais qu’importe. Puis la disque se termine et cette monotone et lisse et tranquille existence occidentale reprend alors ses droits. Voilà ce qu’évoque The Glad Birth Of Love, le cérémonial qu’il tente, non, qu’il est arrivé à recréer. Tim Cohen et ses musiciens, flûtiste, clarinettiste, guitariste, joueur de sitar – le collectif de Magic Trick – ont réussi le tour de force d’assembler les mélodies, paradoxalement il y en a, et de faire naître une œuvre dense et accessible, une musique conçue pour s’évader comme à l’époque des grands albums des seventies. Sans avoir la prétention d’égaler ces derniers, les chansons qu’ils « développent » ensemble, le terme est infiniment juste, exercent toutes un pouvoir irréel, une fascination plus que charmante : quelque chose de profond, de puissant comme une houle. On ressort au bout d’une heure et quatorze minutes avec des sensations fouillées. Inutile d’en dire plus, de gloser sans fin sur telle ou telle note, sur un passage en particulier. Il suffit d’écouter. Pas d’entendre. Mais d’écouter. Et religieusement cela va sans dire.
25-12-2012 | Envoyer | Déposer un commentaire | Lu 2 fois | Public Ajoutez votre commentaire