Chocolat du jour: Sophie Zénon (by notre spéciale guest Isabelle Soraru)

Publié le 24 décembre 2012 par Lifeproof @CcilLifeproof

Durant trois siècles, de 1599 à 1920, les Siciliens ont confié aux moines capucins les corps de leurs défunts et, aujourd’hui, les catacombes de Palerme abritent quelques 8000 momies. A l’origine, ces catacombes étaient destinées uniquement aux moines mais, au fil du temps, la pratique s’est répandue et l’ensemble de l’aristocratie palermitaine se fit embaumer par les capucins. Les momies sont classées par catégories, et vêtues comme de leur vivant. Hommes, femmes, enfants, prêtres ; habits sacerdotaux ou habits d’apparat : au-delà de la mort, les catégories, y compris sociales, ont encore cours dans les catacombes de Palerme.


Sophie Zénon, Capucin 5, 2008, Couvent des Capucins, Palerme, 120 x 80 cm

Sophie Zenon a photographié ces momies dans le cadre d’un cycle sur la représentation du corps après la mort en Occident, intitulé In case we die. Historienne et ethnologue de formation, Sophie Zenon interroge, via ces photographies, « ce paradoxe où parler de la mort – la vraie – nous est interdit, alors que la mort qui nous est extérieure est omniprésente. »

Bien loin de cultiver un regard morbide, le travail de Sophie Zénon s’inscrit dans la lignée des vanités baroques chères au 17è siècle qui, comme celles de Philippe de Champaigne ou de Georges de La Tour, invitent à méditer sur le caractère fugace de la vie humaine et de ses plaisirs. Si la référence à la peinture est permanente dans ce travail de Sophie Zénon – on pensera aussi, pêle-mêle, au Saint François en extase de Zurbaran ou encore, plus proche, à la série des papes de Bacon – les momies de In case we die sont aussi une réflexion sur l’essence de la photographie. A ses origines en effet, elle fut soupçonnée de « capter » l’âme des vivants, mais elle était aussi bien un moyen de préserver la mémoire des défunts au-delà de leur disparition : à la fin du 19e siècle, la pratique de la photographie funéraire était bien développée et il était courant de conserver une photographie des proches sur leur lit de mort ou dans leur cercueil.


Sophie Zénon, Capucin 1, 2008, Couvent des Capucins, Palerme, 120 x 80 cm

Jouant sur le flou et le net de manière très picturale, et avec un tremblement de l’image qui redonne paradoxalement une forme de vie à ces momies que le temps a figé, le cycle In case we die nous interpelle par sa beauté mélancolique et tragique. Sophie Zénon offre ainsi un regard profondément humain sur ces corps, en se confrontant à « ces êtres qui ont eu une vie, qui se sont attablés, qui ont caressé des corps, qui en ont peut-être anéantis d’autre ». Plus qu’un travail d’ordre esthétique, il s’agit aussi d’une méditation sur la hantise, sur la mémoire et sur ce que l’image est capable d’en saisir : une méditation, en somme, sur la manière dont la photographie peut faire œuvre de survivance.


Sophie Zénon, Capucin 3, 2008, Couvent des Capucins, Palerme, 120 x 80 cm

http://www.sophiezenon.fr/

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Isabelle Soraru s’intéresse aux rapports entre la littérature et les arts, et notamment entre la photographie et la littérature. Elle a consacré un blog de cours ainsi qu’un carnet de recherche sur ces questions (http://litterature2point0.blogspot.fr/) et a coordonné un ouvrage collectif paru récemment, intitulé Dire la musique, à la limite.

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