J’ai longtemps hésité à aller voir ce film. Peur des bons sentiments, titre trop grandiloquent (cet Amour avec un A majuscule)… Et j’y suis finalement allé. Je n’ai pas l’intention de vous en raconter le déroulement. On sait qu’il s’agit d’un couple d’octogénaires dont la femme va mourir et dont l’homme va accompagner cette fin de vie. Je craignais aussi d’être voyeur d’une déchéance que je ne supporterais peut-être pas dans la vraie vie. Mais Michael Haneke sait tenir à distance ses spectateurs. Si l’émotion affleure parfois, le réalisateur ne verse jamais dans le larmoyant. Et les acteurs (Jean-Louis Trintignant et Emmanuelle Riva) sont excellents, leur jeu est au cordeau sans cesse. Avançant dans le film, et surpris de n’être pas dans un voyeurisme qui me gênerait, j’ai peu à peu pensé que nous ne voyons cette histoire que du point-de-vue de Georges. C’est lui qui nous raconte ces semaines, peut-être ces mois – tant le réalisateur procède par ellipses –. C’est par ses yeux que nous voyons. C’est le récit qu’il fait dans une longue lettre, non seulement des derniers instants, mais certainement de tout ce temps, depuis la première image où nous les voyons ensemble au concert jusqu’à la dernière image de l’appartement vide. De lui, nous ne saurons pas grand-chose. D’elle nous apprendrons qu’elle fut professeur de piano. De lui, nous connaîtrons un rêve. Aucun des rêves d’Anne. Lui nous dira qu’on ne peut pas raconter un film, mais que les sentiments qu’on y a éprouvés peuvent nous déborder quand on voudrait raconter. Elle lui dira que l’imagination et la réalité c’est très différent. Lui racontera, racontera, raconte. L’amour, alors ? Avec un grand A ? Vous êtes sûr ? Et sinon, quoi ? Comment nommer ce qui unit des êtres jusqu’à la mort ?