Bienvenue dans l’univers de Charles Burns…
« La Ruche » poursuit donc le trip halluciné de ce personnage complètement déboussolé. Il y a tout d’abord la version tintinesque de Doug qui poursuit son périple dans un univers onirique suffocant. Abandonné au pied de La Ruche en fin de tome précédent, il se retrouve maintenant à l’intérieur, employé par une créature verte, et se lie d’amitié avec l’une des femmes sur le point d’accoucher d’on ne veut pas trop savoir quoi. Dans la réalité, l’auteur se concentre principalement sur la relation entre Doug et Sarah, deux adolescents qui se découvrent et se livrent au fil des pages.
Construisant son récit sous forme d’ellipses, multipliant les allers-retours et proposant une narration très fragmentée, l’auteur s’amuse à brouiller les pistes et accompagne brillamment les errances de ce héros à la dérive. Passant d’un personnage alité et drogué aux souvenirs enfumés d’une relation avec une fille aux goûts artistiques glauques, sans oublier les flashs psychédéliques au sein d’un monde peuplé de créatures étranges, l’album entremêle habilement le quotidien, les rêves, les cauchemars, les fantasmes et les hallucinations de Doug. Burns prend un malin plaisir à faire disparaître les frontières entre fiction, réalité, passé et présent, comme en témoigne cette scène où Doug feuillette une bande dessinée des aventures de Nitnit, son alter ego tintinesque. Les différentes versions de Doug se superposent avec brio et l’auteur ajoute encore une nouvelle couche en insérant une référence aux vieux romance comics des années 50/60, qu’il s’amuse à mettre en images dans le style de l’époque. Ce nouvel écho à la vie de Doug s’ajoute aux différents niveaux de lecture de cette saga qui intrigue tout en conservant une fluidité déconcertante.
Progressivement Charles Burns livre les pièces de ce puzzle narratif étonnant. D’abord déroutant, avant de devenir prenant, le récit se joue des repères spatio-temporels et permet à Burns d’aborder des thèmes qui lui sont chers, tels que la prise de drogues, le désir, les névroses, l’avortement et les découvertes sexuelles qui caractérisent le mal-être adolescent dans l’Amérique ultra codifiée des années soixante-dix.
Oscillant entre rêve et réalité, ce deuxième volet abandonne son héros en compagnie d’une tête de mort et cela tombe bien car la conclusion de cette trilogie s’intitulera « Calavera ». En attendant, le lecteur, complètement étourdi et légèrement frustré d’être sorti de cet univers envoûtant avant la fin, devra s’armer de patience avant de pouvoir vivre la fin de ce nouveau trip artificiel proposé par ce génie graphiste au style souvent imité mais jamais égalé.
Retrouvez ce comics dans mon Top du Festival d’Angoulême et dans MON TOP de l’année !