Préparatifs (Le voleur d’enfance #3)

Publié le 21 décembre 2012 par Lheureuseimparfaite @LImparfaite

Source : la Forge by jcmiller 09 on flickr

Le petit marché de Noël battait sont plein. La foule se pressait autour des cabanes de sapin clair dressées sur la place principale, les uns se rassemblant autour des tables hautes du Bretzel Magique, un verre de bière devant eux, une tartine de fromage fumant à la main ; les autres zigzaguant d’un pas nonchalant d’une échoppe à l’autre, jetant un oeil joyeux sur les décorations, les produits régionaux et autres spécialités de saison. Quant à moi je m’arrêtais un instant devant l’atelier de ferronnerie d’art pour me réchauffer, le froid ne me quittant pas depuis le début de cette brève sortie solitaire. J’étais fascinée par la chaleur et le flammes s’échappant du brasero et encore plus par l’artisan occupé à courber le fer selon sa volonté. Je fantasmais déjà sur ses longues et belles mains lorsque mon téléphone sonna bruyamment. L’homme releva la tête et vers moi et je rougis comme s’il avait surpris mes pensées sur le vif. Ridicule. Quelle grosse cruche, la chaleur du feu pouvait très bien expliquer la coloration de mes joues. Après tout mon trouble était certainement passé inaperçu… Je continuais de pester intérieurement après ma gène si niaise tout en me détournant pour prendre ce maudit appel.

« Allo, bonjour Madame, vous êtes bien mad…, entendis-je dis débiter d’une voix atone.

-Merci je ne suis pas intéressée, au revoir, coupai-je brutalement sans chercher à en savoir davantage.

-Mais, mada… ». Je raccrochais prestement et restais un moment perdue dans mes pensées.

J’avais déjà été de meilleure humeur. L’hiver avait toujours eu le don de me rendre grognon, mais là avec mon nez gelé, mon éternel célibat et ce coup de fil bidon j’avais encore plus envie de chouiner comme une gamine. Une feuille racornie par le feu vint voleter devant moi et me tira de mes jérémiades. Encore un petit tour, un verre de vin chaud bien parfumé, quelques achats pour plus tard : un pain d’épice en forme de petit chalet, une énorme part de nougat crémeux et quelques tisanes estampillées bio (tilleul, verveine et camomilles). C’est sûr avec de telles habitudes, pisse-mémé, gâteaux et séries télé j’étais sûre de me dégoter le héros qui allait rompre ma foutue solitude.

Sérieusement dans quel abîme de solitude j’étais tombée. Parfois ça me faisait peur de me rendre compte à quel point j’avais dressé un rempart entre moi et le monde extérieur. Ce mécanisme de défense était en train de se retourner contre moi et de m’enfermer dans une prison étouffante. Une fois de plus en rentrant dans ma petite maison je décidais qu’il fallait que je me force à sortir, que je devrais rappeler quelques vieilles connaissances à l’occasion de la nouvelle année. J’enlevais mes bottes dans l’entrée, posais mon manteau sur une chaise du salon puis allais déballer mes petites courses dans la cuisine. En guise de prélude à la longue soirée qui s’annonçait, je me préparais une pleine cafetière de café bien corsé. Ce soir la une proposait une soirée exceptionnelle avec la diffusion des trois volets du Seigneurs des Anneaux. J’allumais le poste et pendant que me drogue préférée diffusait son odeur à travers les pièces j’allais prendre une douche et me mettre en tenue de combat : pyjama pilou gris, chaussettes en grosse laine et robe de chambre noire hyper moelleuse. La parfaite compilation anti-séduction. Quelle importance, je pensais davantage aux morceaux de pain d’épice que je m’apprêtais à tremper dans mon café au lait avec une bonne dose de chantilly et une orange, des vitamines pour faire bonne figure parmi tout ce sucre… La bouffe et la séduction, même combat. Je rentrerais dans un cercle plus vertueux à la rentrée. Plus tard. Ça serait très bien pour ajouter à la liste des bonnes résolutions. Enfin, bref, je verrais bien.

Enfin je pouvais m’installer dans mon canapé préféré. Je zappais distraitement en attendant le début de la trilogie. L’écran prit un fond rouge et des photos défilèrent. L’alerte enlèvement nous rappelait la disparition du petit Kyllian. Le numéro d’appel défilait en boucle en bas de l’écran tandis que des photos de l’enfant s’affichaient les unes après les autres avec une voix off rappelant où l’enfant avait été vu pour la dernière fois, ce qu’il portait, puis nous demandait d’appeler si nous possédions le moindre renseignement. Aucune piste ne pouvait être laissée au hasard. Mais l’ensemble de la population ne se faisait guère d’espoir sur l’avenir du petit. Quant à la peur des parents de ne jamais revoir leur fils vivant, je n’osais y songer. Cafard. J’aurais aimé pouvoir faire l’autruche, ignorer tranquillement ce fait divers et ne penser qu’à mon programme cocooning de la nuit. Dire que Noël était dans deux jours.

Prologue
Une veille de vacance endeuillée
Défi litéraire


  1. Prologue  du Voleur d’enfance
  2. Partie 1 : Une veille de vacances endeuillée
  3. Défi Des mots, une histoire 85, la récolte : rentrer – racornir – grosse – prélude – vertueux – hasard – dire – peur – tout – ferronnerie – téléphone – tilleul – abîme – fils (fille) – héros