DOSSIER : Projecteur sur le financement communautaire (Crowdfunding)

Publié le 20 décembre 2012 par Misteremma @misteremma

Le crowdfunding ou financement communautaire fait beaucoup parler de lui depuis quelques années à travers des sites tels que AKA Music ou My Major Company. Cependant, force est de constater que peu d’artistes issus de ces plateformes sortent finalement du lot. Quel est exactement le fonctionnement de ces systèmes ? Comment ces chanteurs, réalisateurs, scientifiques font-ils pour attirer les particuliers à se joindre à leur cause ?

Le financement communautaire n’est pas un phénomène récent. Déjà au XVIIIe siècle, celui-ci donnait l’occasion à des actions de charité de voir le jour. Mais c’est véritablement avec la percée d’internet qu’il s’est développé. En 2004, deux réalisateurs, Guillaume Colboc et Benjamin Pommeraud, ont lancé un site web proposant à tout un chacun de devenir producteur de leur film Demain la Veille en échange d’une apparition de leur nom au générique, d’une visite des plateaux de tournage ou d’un DVD du film. Le succès fut fulgurant. En quelques jours, la moitié du financement du long-métrage était assurée.

Devant cet engouement, des sociétés se sont spécialisées dans le financement collectif à l’instar de Sellaband, My Major Company ou Kickstarter. Des personnalités connues du grand public comme Jeanne Mas ou Desireless ont utilisé ces plateformes pour financer leur dernier disque. Certains anonymes sont même devenus de véritables stars grâce au soutien des particuliers. Mais pour un Grégoire (Toi + Moi, Ta Main,…), combien y a-t-il de déçus, de personnes qui n’atteignent pas le quota nécessaire pour être produits ? Un exemple : en 2011, la RTBf s’est associée à AKA Music afin de dénicher la perle qui allait représenter la Belgique à l’Eurovision. Très peu de candidat, au final, sont parvenus à produire leur disque malgré l’important tapage médiatique autour de l’événement. Ce n’est pourtant pas l’objectif final qui est le plus important selon Steve Linden, arrivé 5e du concours. « Ce que je souhaitais avant tout, c’était d’avoir un album professionnel qui permettrait de démarcher plus facilement par après. AKA m’a également permis de faire de belles rencontres pour participer notamment à un spectacle pour enfants, faire un duo avec un autre artiste AKA ou rencontrer mon agent. »

Même son de cloche du côté de Céline Terranova, réalisatrice qui travaille actuellement sur un court-métrage ayant pour thème Sherlock Holmes. Cette jeune montoise expatriée à Londres a fait appel au site Indiegogo pour financer son projet. « J’ai découvert cette plateforme américaine lorsque j’étais en stage dans une boîte de production, explique-t-elle. Après quelques recherches, je me suis rendue compte que le choix était assez limité car la majorité des sites de crowdfunding sont américains et nécessitent l’utilisation d’un compte en banque du pays. Indiegogo était l’une des seules possibilités. » Céline n’a pas atteint son goal, l’initiative lui ayant rapporté à peu près 30% du montant souhaité. « Mais là n’est pas le plus important, poursuit-elle. Ma présence sur ce site m’a apporté énormément de publicité, beaucoup d’opportunités sur le côté. Je vais travailler sur une série TV et une websérie à Los Angeles et j’ai également la possibilité de collaborer à un film, tout ça grâce à Indiegogo! »

Comment fonctionnent ces plateformes? Il existe 2 grandes tendances. Soit elles obligent l’artiste à atteindre son objectif pour débloquer l’argent, faute de quoi la somme est rendue aux producteurs, soit elles leur laissent la liberté d’utiliser le montant obtenu, même si celui-ci n’atteint pour le goal prévu. D’autres proposent un système hybride à l’instar d’Indiegogo qui propose une campagne flexible où l’on peut récupérer l’argent, peu importe le montant et une campagne fixe qui oblige à atteindre l’objectif mais dans ce cas, le site s’octroie un pourcentage moins élevé. Dans aucun cas, le remboursement n’est envisagé. Chez Aka Starter, c’est le contraire, il est possible de retirer l’argent à tout moment alors que chez Belgodisc, cette option est envisageable mais sous certaines conditions. 20.000€ sont nécessaires auprès de cette dernière plateforme pour 3 titres alors que AKA en demande 35.000 ou 80.000€ pour un album. C’est toujours moins que MyMajorCompany qui nécessite plus de 100.000€ de budget. Du côté d’Indiegogo, l’objectif est laissé libre.

Mais le passage via cette plateforme n’est pas une obligation en soi. C’est ainsi que Jean-Baptiste Dumont a fait appel aux producteurs directement depuis le site de son projet baptisé Where is Gary? . « J’avais fait une demande de subsides auprès de la VAF (le fond audiovisuel flamand) mais comme il s’agissait d’un concept participatif, c’était une situation idéale pour faire du crowdfunding, développe-t-il. Mais comme nous étions en 2008, le financement participatif en était à ses balbutiements chez nous. Nous avons donc décidé de plutôt faire à notre sauce. Avec le recul, c’était une mauvaise idée. » Au final, seulement une quinzaine de producteurs ont participé au financement de ce documentaire. Principalement des connaissances et des gens rencontrés au cours de l’aventure et ce, malgré son passage dans plusieurs médias. La « case » plateforme de crowdfunding semble donc inévitable.

C’est d’ailleurs ce qu’ont décidé de faire Martine Barbé (Image Créations) et André Buytaers pour leur projet de documentaire sur les années 80 intitulé La Décade Glorieuse. Sous l’influence et l’énorme succès du groupe Facebook que Paul Sterck, ancien patron du Mirano Continental (Bruxelles) a ouvert en 2012 avec son ami Bruno Bulté, la productrice et le réalisateur ont décidé de faire appel aux dons des Internautes pour financer leur projet. J’ai rencontré tout ce beau monde (Lou Deprijck, Terry Focant, Patrick Hella, Jean-Louis Sbille, Jean-Pierre Berckmans) au Claridge (Bruxelles). Regardez le résultat :

Au final, qui sont ces fameux producteurs/donateurs ? Combien donnent-ils ? Qu’attendent-ils exactement ? « Il s’agit en premier lieu d’amis ou de la famille, raconte Céline Terranova. Ensuite, le bouche-à-oreille se fait principalement via les réseaux sociaux. Dans mon cas, ce sont également beaucoup de fans de Sherlock Holmes et plus particulièrement des jeunes car le paiement se faisait par PayPal, plus connu chez eux. » Étonnamment, ce sont les Américains qui ont été les plus nombreux à la soutenir, « sans doute parce que ce système est déjà dans les moeurs là-bas », explique-t-elle. Pour Steve Linden, ce sont principalement des producteurs français et canadiens qui se sont manifestés. Même discours chez Belgodisc où la majorité des donateurs viennent d’outre-Quiévrain. Les Belges seraient-ils plus frileux?

Et ces artistes, comment font-ils pour attirer l’argent des internautes ? La plupart proposent des incentives en fonction de la somme versée. Ceux-ci peuvent ainsi aller de la citation dans le générique, à la copie du film sur Viméo ou sur DVD en passant par une invitation à la première du film, une photo dédicacée ou un crédit « Producteur exécutif ». Collégialement, les réalisateurs affirment que la récompense la plus prisée est la citation dans le générique de fin. Mais attirer le donateur est moins facile que ce que l’on pourrait penser. Ainsi en témoigne Céline : « Au début, je pensais que ça se ferait tout seul mais en fait, il faut vraiment suivre tout le temps. J’ai donc réalisé 2 séries de 10 vidéos sur Youtube tournées notamment au musée Sherlock Holmes à Baker Street. Au total, Indiegogo m’a pris 2 mois et demi à temps plein ».

Les grosses frustrations du système? Sans aucun doute voir le compteur qui ne monte pas. « Pour contrer ce soucis, il faut passer énormément de temps sur Twitter et Facebook, poursuit-elle. Un autre désagrément est la situation qui peut rendre mal à l’aise vis-à-vis de la famille et des amis à qui l’on demande de l’argent au départ. » Pour Steve, le syndrome de la barre de pourcentage qui ne monte pas, il connait aussi mais lui n’a pas accordé trop de temps à sa promo. « J’ai eu la chance de me retrouver en haut des charts AKA ce qui m’a donné une bonne visibilité. Je mettais bien de temps en temps de petits commentaires sur Facebook mais sans plus. »

Au final, aucun des trois intervenants ne sont allés jusqu’au bout de leur objectif. Avec les subsides, Jean-Baptiste est parvenu à ficeler son projet alors que Céline a travaillé sur le côté pour combler le manque d’argent venu d’Indiegogo. Steve, quand à lui, a choisi une autre solution. « J’ai demandé à AKA s’il était possible de faire l’album avec le budget prévu pour un single en faisant une croix sur certains éléments du budget. Ils ont marqué leur accord et j’ai pu sortir Carpe Diem l’année passée. »

Si les retours semblent globalement positifs de la part des artistes, il n’en reste pas moins que le crowdfunding n’a pas autant la côte que l’on pourrait le penser. Ainsi, MyMajorCompany a dû se diversifier tout comme AKA Music qui est devenu AKA Starter. Cette dernière est même en restructuration actuellement. Les soucis principaux reposeraient principalement sur le fait que les producteurs mettent de l’argent puis se retirent entrainant un effet de yoyo qui empêche d’atteindre un objectif dans un délai raisonnable. La plupart des artistes également n’ont pas non plus le niveau suffisant. C’est pour éviter ces désagréments que Belgodisc fonctionne selon un schéma un peu différent. Petite dernière sur le marché, cette plateforme fait appel à un comité d’écoute composé de 5 spécialistes afin de sélectionner des artistes qui ont vraiment une chance de s’imposer. Si un projet n’a pas atteint son objectif en un an, celui-ci est retiré du site et l’argent mis par les producteurs leur est redistribué. De cette manière, Belgodisc est déjà parvenu à imposer quelques uns de ses poulains sur les ondes de VivaCité, La Première ou Sud Radio et est en contact avec Arte Belgique et RTL. Côté français, le défi reste plus difficile même s’ils ont déjà connu quelques passages chez Michel Drucker. Mais le plus grand problème rencontré, c’est de satisfaire les artistes. « Beaucoup d’entre-eux sont frustrés, explique Paul Dewachter, administrateur-gérant de Belgodisc. Ils n’ont pas su signer auprès d’une major parce qu’ils n’ont pas le niveau et viennent donc sur les plateformes de financement participatif. Il y a donc pas mal de déchets mais nous tentons de filtrer grâce à notre comité d’écoute. Il faut vraiment qu’ils aient un titre phare quand ils viennent nous voir, l’époque du donne-moi la main et promenons-nous sur le chemin, c’est fini. Il n’empêche qu’il est très difficile de gérer autant de personnalités différentes parce que certains ont des caprices de stars alors qu’ils ne le sont pas (encore). »

Qu’en est-il ailleurs? Il semblerait donc que les Etats-Unis soient beaucoup ouverts sur le concept. « L’Europe est presque sclérosée et en léthargie, commente Paul Dewachter. Mais elle est beaucoup plus ouverte aux autres que les Américains qui restent renfermés sur leur propre musique. Cependant, nous n’avons pas confiance en nous, nous n’essayons pas de défendre nos propres artistes. De plus, tout est cadenassé avec les 3 majors. C’est là que le crowdfunding doit essayer de casser tout ce système mais les pactes entre ces majors et les grandes radios nationales limitent notre impact ».