Le Président de la prestigieuse Académie catholique de France, le Doyen Philippe Capelle-Dumont, en appelle au gouvernement français pour que soient respectés les droits fondamentaux des chrétiens d’Orient, « avant d’atteindre le point de non-retour », alors même que les fêtes de Noël sont pour ces derniers des moments de tension.
Chrétiens d’Orients
« La situation tragique continûment imposée depuis plusieurs décennies aux chrétiens qui sont nés et vivent au Moyen Orient a désormais atteint un degré d’inhumanité intolérable. Elle exige, avant le point de non-retour, un réveil immédiat des consciences et une mise en mouvement accélérée des corps de décision politiques et associatifs.
La douleur quotidienne des déplacements imposés aux familles, les menaces aggravées qui pèsent sur la vie des personnes, les angoisses permanentes des lendemains incertains quant au logement, à l’emploi et à l’éducation, ont fait de communautés entières, pour l’unique raison de leur appartenance religieuse, des groupes relégués dans la marginalisation civique et internationale*.
Il faut y insister : dans la plupart des pays musulmans où la laïcité est comprise comme un concept étranger, les chrétiens relèvent de facto d’un statut à part, en certains lieux officiellement abrogé mais officieusement observé : la dhimmitude (c’est-à-dire l’ensemble des relations entre la communauté islamique et les indigènes juifs et chrétiens). Ce statut fait d’eux des citoyens de seconde zone (à l’exception du Liban), alors qu’ils ont historiquement joué et jouent encore un rôle important en faveur de la culture et de la démocratie.
A travers eux et les discriminations dont ils sont l’objet, c’est aussi bien la présence du christianisme sur les terres de sa naissance, voici deux millénaires, qui est en jeu. La mort physique ou l’émigration y constituent pour l’heure les deux réponses fréquemment sollicitées au mot d’ordre tenace, expressément revendiqué ou soigneusement dissimulé : « Disparaissez ! ».
Cette situation, entend-on depuis longtemps, ne saurait durer. Mais, prisonniers de stratégies géopolitiques qui les dépassent, les Orientaux chrétiens éprouvent le cynisme des discours édulcorés et des rhétoriques de circonstance, produits par des puissances étatiques et nombre de leur relais diplomatiques, accentuant leur sentiment d’impuissance.
Pourtant, certains musulmans résidant dans ces mêmes pays n’hésitent pas à affirmer, tel Mohamed Kabbani, mufti (sunnite) de la République libanaise lors de la visite récente du pape Benoît XVI au Liban : « Nous appuyons votre appel à préserver leur présence dans le monde arabe lancé aux chrétiens du Proche-Orient [...] et pour l’égalité de tous les citoyens, en droits et en devoirs, sans discrimination aucune, religieuse, confessionnelle ou raciale, que ce soit ». Il se trouve qu’en outre, dans cette même région, certains musulmans, qu’on appelle modérés en raison de la priorité qu’ils accordent à la vie spirituelle sur la conquête sociopolitique, sont eux-mêmes menacés, voire assassinés.
Les chrétiens doivent pouvoir affirmer leur foi, invoquer leur identité religieuse, exercer leur culte sans que leurs communautés soient assimilées aux communautarismes. La vie commune suppose un traitement identique de tous les citoyens et le respect d’un pacte social défini selon les principes de liberté et d’égalité. Tout particulièrement, la liberté religieuse implique la liberté de culte, mais aussi la liberté de conversion religieuse.
En ne se limitant pas au seul fait de leur identité culturelle et sociologique, les chrétiens approfondissent le sens de leur propre vocation et vivent dans les dimensions d’universalité, de justice et de paix qu’elle comporte. Ils peuvent d’autant mieux contribuer à la promotion du bien commun et de la dignité humaine. Ils nous offrent ainsi, à nous Occidentaux, un modèle de proximité et de fraternité entre les différentes familles religieuses. En surmontant leurs propres divisions et en engageant un processus renouvelé de dialogue interreligieux sincère, ils mettent en relief ce qui les unit entre eux et avec tous les hommes.
Dans de telles conditions, dont la complexité paralyse trop souvent l’action, l’Académie catholique de France en appelle au gouvernement français pour qu’il entreprenne sans tarder, si possible en coopération avec les Etats membres et les institutions de l’Union Européenne, sinon de sa pleine autorité, les démarches qui s’imposent pour que soient respectés les droits des Orientaux chrétiens à vivre en citoyens de plein exercice et notamment à pratiquer leur religion librement, sans contrainte ni limitation, conformément à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme,. Nous considérons qu’il y va de l’honneur de notre pays, la France, et de toutes les familles d’esprit qu’il réunit. »
Paris, le 13 décembre 2012 Académie catholique de France*