Gary SHTEYNGART – Super triste histoire d’amour : 5+/10
La « super triste d’histoire d’amour » que nous propose Gary Shteyngart – qui est plus pathétique et quelconque, mais passons, chacun son point de vue sur ce qui est triste – se déroule dans un monde du futur, de quelques années seulement, c’est très très proche de nous.
Ce roman peut être considéré comme un roman d’anticipation (mais alors il déçoit) ou alors comme un récit satyrique (mais alors il n’est pas assez subtil)*.
Bref, vous l’aurez noté, j’ai trouvé ce roman très décevant, d’autant plus que je ne l’ai acheté que parce qu’il était le grand « coup de cœur » de France Info.
Il n’en reste pas moins qu’il a le mérite d’être divertissant et que, si le monde créé par l’auteur ressemble trop à un monde dans lequel évoluent les anciens participants de télé-réalité, il n’en reste pas moins qu’en fait, on sent, derrière ce récit, une importante réflexion sur les « coulisses » - qui ne sont malheureusement pas assez présentes.
Mais commençons par le début :
L’intrigue
Nous nous trouvons dans un New York du futur où nous faisons la connaissons de Lenny Abramov, 39 ans. Ce monde est totalement otage de la technologie et de l’apparence. Tout un chacun se promène avec un « smartphone » du futur qui délivre des informations personnelles et intimes sur lui à tous ceux qu’il croise, et il est jugé en permanence par son entourage, par ses collègues mais aussi par des inconnus. Dans ce monde, les renseignements bancaires sont une affaire publique, puisqu’en passant devant des « bornes de crédit » qui se trouvent dans la rue tel des horodateurs, le crédit de tout passant s’affiche.
Bref, plus aucune vie privée. Nous sommes dans un monde de télé-réalité.
Et ce concept est poussé au bout : la valeur suprême est la jeunesse éternelle. Il faut être beau, mode, jeune. Si possible suivre un programme de rajeunissement, tenter d’acquérir la vie éternelle, qui est réservée à une élite qui a les moyens.
Lenny, le héros, n’est pas très beau, il est vieillissant, perd ses cheveux à l’approche de la quarantaine, ses analyses sanguines ne sont pas très réjouissantes non plus (et tous y ont accès), quand il entre dans un pub il est automatiquement classé parmi les moins attirants (car, n’oublions pas, tous sont jugés en permanence et toute information est publique).
Or, Lenny fait la connaissance de la très jeune et très belle Eunice Park. Celle-ci ne s’intéresse d’abord pas à lui, ne fait que passer un moment avec cet homme qu’elle juge sympathique mais très peu attirant.
Seulement, quand elle souhaite revenir à New York pour sa famille, elle n’a qu’un seul moyen : vivre chez Lenny.
Celui-ci, fou d’amour, accepte tout, et lentement Eunice s’attache à cet homme gentil, même si elle reste attiré, comme tout le monde, par l’apparence.
Cette petite histoire d’amour se déroule dans un monde qui va vers le chaos : la Chine semble prendre le dessus, la révolte menace, la guerre menace. Vivre dans la grosse pomme est devenu difficile, d’autant plus que plus personne ne se parle, tous ne regardent que les émissions les plus bas-de-gamme et ont oublié comment réfléchir.
Alors, jugeons, jugeons
Le récit nous est livré à travers des e-mails, un journal intime (celui de Lenny).
L’auteur s’efforce de modifier largement son style d’écriture selon la plume qu’il emprunte. Ainsi, lorsque nous lisons les mails d’Eunice, le langage est celui que vous entendez dans « Secret Story » et autres émissions du même type, alors que Lenny s’exprime normalement.
Nous nous attachons effectivement à Lenny, qui vit dans un monde, selon des règles, qu’il accepte mais qu’il ne comprend au fond pas. Il tente de faire comme les autres, sans conviction.
Sinon, les autres personnages sont ceux qu’on croise dans les télé-réalités : standardisés, sans caractère propre, uniformes même, on les oublie une fois qu’on a tourné la page. Ils ne laissent aucune marque, on sait simplement qu’ils sont superficiels, attachés à leur apparence et qu’ils ne se jugent que par des critères normalisés qui circulent librement.
Au début, j’ai été séduite par le monde qui entourait cette histoire, car le tout se déroule sur un fond diplomatique et politique difficile, entre les pays, la surveillance constante de tous, la méfiance, la peur du régime en place.
Seulement, cela n’est pas poussé jusqu’au bout ! Que nous sommes loin d’Orwell et de son Big Brother, qui nous effrayait.
Puis, si le but était d’écrire un roman d’anticipation, l’auteur aurait dû aller plus loin. Je l’ai déjà dit au moins trois fois, mais là nous sommes simplement dans un monde qui caricature une télé-réalité. Il manque de « nouveauté », il manque d’imagination. C’est notre monde à nous, poussée à l’extrême.
Si, au contraire, il s’agissait d’écrire un livre satyrique, alors là le récit manque singulièrement de subtilité. Ce qui est bien dommage.
Ce qui m’a donc ennuyé, c’est qu’on n’a pas poussé à bout le concept. Pourtant, les idées y sont, mais elles ne sont pas exploitées !
Quelques autres points de détails m’ont également heurtée :
Dès le quart de couverture on nous parle d’un Lenny qui s’accroche à ses livres papiers, à son écriture. Ce qui est vrai. Seulement, c’est très très loin d’être le trait de caractère premier de Lenny, qui tente malgré tout de s’adapter à ce nouveau monde qui le dépasse. Oui, il aime ses livres, il les aime viscéralement, mais il n’en fait pas toute une histoire. Il le fait chez lui. Il n’impose, rien.
Ensuite, les filles ont toutes une sexualité débridée totalement ridicule. Vais-je répéter mon histoire de télé-réalité ? Non. En fait, les filles adorent s’habiller en cachant ce qu’on peut montrer tout en exhibant leur intimité. Le soutien-gorge laisse apparaître les tétons, le pantalon, transparent, est fait pour montrer ce qui se cache entre les jambes, le tout s’enlève en une seconde. Les uns jugent les autres par rapport à leur « baisabilité » et le langage des « jeunes » (dont certains sont déjà vieux) est très vulgaire. Mais cela fait partie de ce nouveau monde que j’espère bien ne jamais voir.
Donc, il s’agit d’un roman d’anticipation qui nous plonge dans un monde vulgaire, sans tabou, dans lequel l’apparence est roi, dans lequel on se situe par rapport au jugement des autres, où la morale n’a plus sa place.
Le tout est dirigé par un régime omniprésent – mais qu’on subit malgré tout un peu trop de loin, c’est ce point-là que j’aurais aimé voir exploité bien plus.
Bref, loin d’une « super triste histoire d’amour », c’est une histoire d’amour quelconque, comme nous les vivons tous, et qui se déroule dans un monde de télé-réalité caricatural.
Si cela vous tente, allez-y. Moi, je ne le relirai certainement pas.
* j’ai, pour ma part, pris le parti de classer ce roman dans la « Science-Fiction », comme c’est tout de même plutôt un roman d’anticipation