Magazine Moyen Orient
"Même les débuts ont une fin!" - les mots se sont formés dans mon sourire, alors qu'une soldate me tend les ciseaux pour couper ma carte d'identité militaire.
Quitter l'armée est une aventure à affronter armée d'un formulaire que chaque base qui fut un jour responsable de moi doit signer. Autant résumer, c'est une vraie quête d'identité dans le système administratif de Tsahal! J'ai écumé les étages de bâtiments déserts, fait un aller-retour entre deux bases-mères et une annexe presque abandonnée, signé les papiers où un texte en toute petite police précise que je suis réserviste jusqu'en 2025, trimballé mon gros sac khaki chargé de tout mon matériel militaire, tempêté devant un ordinateur récalcitrant à imprimer une dernière autorisation de sortie... et puis, d'un seul coup, le poids des responsabilités s'est levé, et sourire radieux, j'ai réalisé. Cette fois-ci, Tsahal c'est fini, j'me mets au vert!
Ma première période en Israël touche à sa fin. Un peu plus de trois ans après sa création, c'est aussi le centième post de ce blog. J'ai changé, et ces carnets aussi avec moi. Il ne s'agit plus de raconter le "petit pays complexe", mais de partager un vécu. Ce "presque normal", c'est aussi moi.
Par besoin, par obligation, mais aussi par choix, je n'ai jamais décrit ici les moments les plus difficiles, les défis les plus personnels de mon service militaire. Je n'ai même pas essayé de raconter les jours d'émeutes en Cisjordanie, ni l'absurdité d'une journée perdue à faciliter le passage d'une giraffe à un checkpoint. Je n'ai pas voulu parler de ces deux sorties en mer, à l'aveugle, dans des flots déchaînés à la poursuite d'une flottille "humanitaire" en direction de Gaza. Ni cette journée folle à la frontière syrienne, incrédules face à une foule civile se ruant sur un champ de mines. J'ai appris la violence des faits, et celle des mots pour les décrire.
"Tu as vu cette armée en marche. Tu sais, maintenant." - me dit mon commandant en m'accompagnant une dernière fois vers la sortie de notre base. Si le livre qu'on pourrait écrire sur l'expérience qui s'achève n'est jamais publié, ce blog garde la trace de deux ans de l'expérience le plus passionnante, difficile et enrichissante de ma vie. Quelque part, ce blog constitue mon bien le plus cher.
Serait-ce tout? Loin de là! Il y a eu aussi ce sentiment d'appartenir à une caste différente, légèrement décalée du reste de la population, où chacun est responsable de tous. En deux ans, j'ai gagné une famille, presque aussi dysfonctionnelle que les vraies: entre fous-rires improbables, nuits blanches devant les ordinateurs d'une base isolée, ces matins où en ouvrant le journal on y lit une situation vécue la veille et ces permissions où on préfère rester ensemble même si certains ne rentreront de fait pas chez eux.
Il y a des guerres justes, il n'y en a pas de bonnes. Le dernier conflit a renforcé une conviction profonde: il n'y a pas de victoires joyeuses sauf peut-être celle d'éviter à la majorité de connaître la guerre, justement. Alors, il y a ces moments de fierté intense en rentrant d'une frontière vers Tel Aviv, où s'ils le désirent les gens peuvent ignorer ce qui se trame à quelques dizaines de kilomètres de chez eux. C'est notre plus belle victoire.
Et maintenant? En avant les histoires!