L’Immeuble, de Mario Capasso – éd. La Dernière Goutte
Publié le par Mikaël DemetsImpossible de savoir comment est régi ce building-monde, qui a ses propres légendes et ses historiens : même s’il y travaille visiblement depuis un moment, le narrateur reste imprécis. Les employés semblent ne pas faire grand-chose dans leurs bureaux, les réunions sont prétextes à des débats farfelus. Ici, on est capable de mener une campagne politique pour décider du sens d’utilisation des escaliers, et ça peut même dégénérer en guerre sanglante – mais finalement assez ludique aussi. Quant à la hiérarchie, elle apparaît comme une entité floue, crainte et ignorée à la fois : “Les ordres du SUPER sont exécutés religieusement, même si nul ne sait au juste en quoi ils consistent.” A part s’envoyer en l’air et parler de foot, les hommes et les femmes ne font qu’errer, entre absurdité et fantasme.
Tout en jeux de mots, en expressions détournées, en adjectifs inattendus et en comparaisons absconses, l’écriture sonore de l’écrivain argentin Mario Capasso, formidablement rendue en français par la traductrice Isabelle Gugnon, ondule en harmonie avec les circonvolutions de l’édifice. Cette géométrie de l’impossible rappelle bien sûr Franz Kafka ou Jacques Sternberg, mais possède aussi quelque chose de Pérec, de Gébé ou de Tex Avery. Ode à la liberté et à la transgression, le fourmillement des habitants de l’immeuble devient une allégorie politique, un monument à l’imagination, à l’insouciance et l’irrévérence. “Vous autres, les plus jeunes surtout, vous devez l’imiter et ne pas renoncer à la lutte, vous devez vous risquer dans les escaliers, ne jamais perdre l’espoir d’arriver quelque part.”
EL EDIFICIO. TRADUIT DE L’ESPAGNOL (ARGENTINE) PAR ISABELLE GUGNON, NOVEMBRE 2012, 280 PAGES, 20 EUROS.
source: http://laccoudoir.com/romans/l-immeuble-mario-capasso-4487/