Les guides de pays (NDLB : enfin, pas tous), ça n'aime pas les ours, ni les loups, ni les lynx, ni les vautours, ni grand chose de sauvage qui ne soit pas du gibier. Mais maintenant, ça avoue clairement que ça n'aime pas les bergers non plus...
par Marc Laffont
Cliquez sur la chevillette et la bobinette cherra L'idée de cette note m'est venue en confrontant le témoignage (admirable et lucide) de Jean Jacques Exbrayat, berger de profession confronté au loup avec une énième diatribe écoréactionnaire d'un célèbre guide de pays.Le but de cet article, c'est bien-sûr de dénoncer les écolos, cette fois par « emplois verts » interposés. Personne n'est capable de définir ce qu'est un emploi vert, mais peu importe : du moment qu'on peut verser un peu de bile sur les affreux escrolos.
Mais ce qui m'intéresse ce jour n'est pas de savoir ce que sont les emplois verts, s'ils ont de l'avenir ou s'ils coûtent des emplois plus productifs. Le futur nous le dira rapidement. Non, ce qui m'intéresse, c'est un exemple d'emploi vert cité par l'Inénarrable :
« Embaucher un berger, construire une cabane d’estive dont on se passerait s’il n’y avait ni ours et ni loups, c’est encore des emplois et des investissements verts. »
Je vous rassure, la suite dérive évidemment vers les parasites environnementalistes qui gaspillent les impôts des bons français (alors que les éleveurs pluri-actifs mériteraient tellement d'avantages et davantage). On savait déjà le personnage écolophobe. Ça c'est pas un scoop. Notre homme révèle ouvertement sa détestation du métier de berger. Sa « pastoralophobie » comme auraient pu dire les amateurs de néologismes lupotechniques.
Tout est donc dit dans les deux lignes précitées :
- Le métier de berger est un emploi vert, avec tout l'aspect péjoratif que l'auteur donne à ce terme dans son article : inutile, couteux, dogmatique, bref osons le terme : criminel pour l'intérêt de la communauté.
- Cet emploi inutile n'est « justifié » que par la présence du loup et de l'ours. Car si on se passerait fort bien de cabanes d'estives s'il n'y avait ni ours ni loup, c'est donc qu'on se passerait fort bien du berger censé l'occuper. Comme la brebis est un animal quasi-immortel, qui ne peut être tuée que par un prédateur sauvage ou un tueur à l'abattoir, elle ne court aucun danger, ne nécessite aucun soin, et ne doit donc pas être gardée.
- Éliminer l'ours et le loup, ce n'est pas seulement assouvir sa haine du sauvage et des écolos, c'est par la même occasion l'opportunité de se débarrasser de cet inutile parasite couteux qu'est le berger.
Je ne vais pas dire que le masque tombe, car c'était déjà bien visible avant. Et on ne peut pas parler de coming-out non plus, car ce n'est un secret pour personne que notre bon guide roule d'abord pour les éleveurs pluri-actifs.
Son but, ce n'est pas seulement de préserver la « tradition millénaire » du non-gardiennage des troupeaux en Barèges-Gavarnie. Non, son véritable objectif, c'est que ce non-gardiennage devienne la norme sur l'ensemble du domaine dit « pastoral » français. Pastoral entre guillemets, car on ne saurait qualifier de « pastoralisme » un usage qui consisterait à laisser divaguer des troupeaux privés du pasteur qui donne son nom à la pratique.
Cet objectif passe par l'éradication des grands prédateurs, derniers obstacles à la suppression du métier de berger. Disparition qui était bien entamée avant que des inconscients ne réimplantent des ours dans les Pyrénées, et que les fourbes italiens ne laissent le loup revenir en France par les Alpes.
Dans ce monde merveilleux, où tous les éleveurs sont des pluri-actifs disposant de troupeaux pléthoriques devenus de simples supports à subventions, le berger n'a pas sa place : C'est l'éleveur qui se fait passer pour le berger auprès des touristes. Un costume « traditionnel » que plus personne ne porte depuis au moins 50 ans, un accent typé forcé, et hop! le tour est joué: il est pas beau mon produit de terroir?
Exit la rationalisation de la gestion de l'alpage (estive), qu'évoque le berger Jean Jacques Exbrayat dans son intervention.
Exit aussi la prétendue préservation environnementale résultant de cette « gestion ». Si le non-gardiennage des troupeaux permettait de lutter contre la fermeture des milieux et l'ensauvagement, on s'en serait aperçu depuis un moment. Et il n'y aurait pas non plus besoin de recourir aussi fréquemment à l'écobuage, qui part d'ailleurs régulièrement en sucette.
Exit encore toute recherche de technicité et de professionnalisation. A quoi bon optimiser la production d'agneau, si le revenu ne dépend que du fait de détenir des brebis à moindre frais ?
Exit toujours, la race du patou des Pyrénées : inutile lui aussi et pas suffisamment patrimonial, contrairement au kiwi « de l'Adour » ou à la truite arc-en-ciel « des Pyrénées», deux espèces exotiques.
Et dangereux avec ça : imaginez qu'il morde d'énervement un guide de pays entrain d'expliquer à des touristes les dangers de l'ensauvagement ?
Il est presque risible de constater que l'essentiel des bergers se son finalement ralliés à la doctrine anti-prédateurs, alors que ce n'est que dans les pas du loup ou de l'ours que leur métier se perpétuera. Les principaux hérauts du mouvement anti-prédateurs n'ont besoin des bergers que pour une seule chose : apitoyer le citadin sur le sort du gentil éleveur pluri-actif traditionaliste, en jouant sur la confusion entre éleveur et berger. Simple et basse récupération.
Amis bergers venez à nous qui n'avons pas besoin de vous, mais sommes bien contents d'en trouver quelques uns pour les photos et la propagande. Et surtout n'écoutez pas ces fachos d'écolos qui veulent juste vous manipuler pour ensauvager la montagne! Les enfoirés.
Je comprends tout à fait, comme d'ailleurs le dit Jean Jacques Exbrayat, qu'on ne puisse pas porter le loup dans son cœur lorsqu'on sait qu'à la moindre distraction, la moindre étourderie, la moindre malchance, le loup (éventuellement l'ours) en profitera pour se servir. Mais je n'ai pas trouvé mieux comme conclusion que la sienne...
« En tant que Berger, le loup me fait chier, c'est forcé. Mais en tant qu'Homme et Citoyen, j'ai pas le droit d'éliminer une espèce parce qu'elle me concurrence. »
Je ne sais pas vous, mais moi en tant que citoyen, ça ne me pose aucun problème de participer à la solidarité nationale permettant à la fois à des bergers comme Jean Jacques Exbrayat et à des prédateurs de partager le même territoire. Je confesse par contre un point de vue beaucoup plus mitigé vis à vis de certains éleveurs aux préoccupations fort éloignées, et de la véritable tradition, et de l'environnement...
Marc Laffont