Extrait d’une communication écrite pour les Rencontres d’Aruba de 2012 mise en ligne en trois épisodes
Épisode 2
Bruno Pédurand
L’héritage de Cham
2008
C’est une relecture de l’œuvre d’Albrecht Dürer, Adam et Ève (1507), que propose Bruno Pédurand. Son installation intitulée L’héritage de Cham date de 2008. Elle est constituée de cinq panneaux de bois sur lesquels sont transférés les personnages inspirés de l’œuvre de Dürer ; Les originaux sont scannés, agrandis, transférés sur bois. Les particularités de la matière (veines et nœuds du bois) participent à l’œuvre. Au bas de chaque panneau, est gravé un passage du Code noir. Cinq bibles cloutées posées sur des socles en bois peints sont placées devant chacun des panneaux.
Bruno Pédurand
L’héritage de Cham
(détail)
Cette œuvre lui a été inspirée par l’expérience de la prégnance de l’idéologie coloniale chez le colonisé. Il la perçoit à travers la réaction du public face à ses œuvres, souvent qualifiées de diaboliques, ce qui, selon lui, démontre la réussite du projet du Code Noir de Colbert.
L’Adam et Ève de Dürer sont dans le jardin d’Éden avant le péché originel. Cette œuvre a été choisie pour permettre le questionnement et la réflexion sur le concept de péché originel et sur les notions d’état de nature et d’état de culture.
Le remix de Pédurand critique la dimension manichéenne du projet colonial: le divin, la lumière l’éternité, le blanc versus le noir, les ténèbres, la mort, le diable. L’œuvre conteste également la justification de l’esclavage par la prétendue malédiction de Cham, légitimant les souffrances infligées et la nécessaire mission civilisatrice, évangélisatrice et salvatrice de l’Occident. Différents indices (Têtes de mort, bougies) soulignent le triomphe de la mort et du mal.
Le remix, l’appropriation, le sample sont parties intégrantes de la démarche artistique de Pédurand depuis ses débuts.
Bruno Pédurand
L »héritage de Cham (détail)
Il met côte à côte les originaux transférés et les réinterprétations, en modifiant ou en rajoutant des éléments, intervenant d’une part sur les originaux (feuille cache – sexe cloutée) mais aussi sur les remix eux-mêmes.
Il ne faut pas voir ces œuvres comme des rébus à la manière d’Hervé Télémaque qu’il conviendrait de décrypter. La polysémie de chaque élément compte et permet une lecture ouverte. La pomme qu’Adam tient dans sa main gauche est remplacée par un objet qui peut évoquer un hochet Yoruba ou une massue moyenâgeuse mais peut être dans le même temps une référence au virus du sida et donc à la malédiction supposée des peuples noirs, considérés comme responsables de la propagation du virus dans l’imaginaire collectif au début de l’épidémie.
Adam et Ève sont dotés de couvre – chefs, un masque remplace leur visage, leur pâleur et leur blondeur sont assombries. Le fond sur lequel se détachent leur silhouettes est dense et peuplé de signes, à l’inverse du fond neutre des originaux.
Avec le remake de L’origine du monde de Courbet et du Radeau de la Méduse de Géricault par Christian Bertin (Martinique), on passe de la peinture à l’assemblage et à l’installation.
Christian Bertin propose un assemblage auquel il donne le titre du tableau de Courbet. Comment peut être interprété cet assemblage en l’absence de titre ? Est – il alors spontanément perceptible comme un remix de Courbet ? Autrement dit certains paramètres (ici le titre et notre connaissance de l’histoire de l’art) modifient – ils notre appréhension d’une œuvre ?
Christian Bertin
L’origine du monde
1995 100 cm x 100 cm
L’origine du monde revisitée par Christian Bertin est un assemblage de timbales métalliques récupérées sur le site d’une ancienne prison, 118 rue Victor Sévère, communément désignée par le terme le 118.
Collées sur un pan d’acrylique noire, elles forment un triangle dont la pointe est orientée vers la gauche et a donc effectué une rotation d’un quart de cadran par rapport au triangle pubien de Courbet. Pour l’artiste, la parenté réside dans la forme triangulaire, la couleur noire et le creux symbolique des timbales. Le triangle réaliste, provocateur, érotique de Courbet se veut chez Bertin une provocation historique en relation avec le commerce triangulaire.
Dans le cadre d’un test sur les paramètres qui conditionnent la perception des œuvres d’art., cette image a été adressée à certaines personnes avec le titre et à d’autres sans titre.
Ceux qui n’ont pas connaissance du titre sont sensibles à la composition géométrique, un triangle dans un carré, en noir et blanc (le yin et le yang ?) ainsi qu’à la nature des matériaux : des objets quotidiens récupérés et recyclés. L’œuvre évoque soit la voile d’un bateau soit un mégaphone ou bien une pyramide couchée, un vieil avion rapiécé, un jeu de massacre (de foire), un arc, un drapeau.
Elle suggère parfois les thématiques de la faim, la soif, le dénuement, la critique du consumérisme, un hommage aux sociétés sobres, la trace d’hommes disparus, la superstition (13 timbales).
Cette œuvre peut aussi être perçue à travers le prisme d’un souvenir d’enfance: les timbales de lait distribuées à l’école ou le gobelet d’une grand – mère. Une des personnes interrogées qui ignore le contexte de fabrication de l’œuvre se remémore cependant l’œuvre de Spoerri, Le repas des prisonniers, ce qui est pertinent quand l’on sait que ce sont des timbales d’une ancienne prison. L’interprétation sexuelle de l’assemblage n’est jamais spontanée en l’absence du titre. Ceux qui lisent le titre mais ne connaissent pas la peinture de Courbet ont une interprétation similaire à celle du premier groupe. L’analyse de l’œuvre comme origine du monde caribéen, de la traite négrière en raison du voyage de l’est vers l’ouest, nombreux au départ, peu nombreux à l’arrivée est également proposée, ce qui correspond au projet de l’artiste. Par contre, la lecture de ceux qui connaissent l’œuvre de Courbet est orientée vers une interprétation sexuelle même s’il est signalé que cette orientation est induite par le titre.
Christian Bertin
Soleil Nègre
2011
Le rapport de l’installation Soleil nègre avec le Radeau de la Méduse est encore moins visible du premier coup d’œil. On peut concéder une même ligne de force verticale et la couleur rouge. Le plasticien y voit un appel au secours pour une reconnaissance accrue de l’art de la Caraïbe. Cette œuvre a été créée après la mort d’Aimé Césaire, après la lecture d’un titre de la Revue Match «Le soleil noir s’est éteint». Pour Christian Bertin, animateur au SERMAC (service municipal d’action culturelle de Fort – de – France créé par le maire Aimé Césaire, encouragé dans sa vocation par Aimé Césaire, le rayonnement d’Aimé Césaire ne saurait s’estomper. Il crée donc cette installation en y intégrant des photocopies de cet article, accompagné d’extraits du poème de Gérard de Nerval. Les palettes de transport de marchandises évoquent le radeau.
Peut-on vraiment intégrer cette installation dans la catégorie des remix ?
Dominique Brebion (Aica Caraïbe du sud)