L'attente. La fébrilité. L'importance des rituels, le peu de place laissé au hasard. De scène en scène, avec une patience et une précision d'orfèvre, la réalisatrice ne nous épargne rien. Et les images frappent. La jeune femme se fait belle, comme s'il était important de mourir jolie. Elle vit chaque petit moment en sachant que c'est le dernier. Un bain ou une pizza deviennent alors des évènements majeurs. Puis vient l'heure de la préparation, orchestrée par trois hommes masqués. Chaque geste est pensé, repensé, répété dix fois. Chaque éventualité (ou presque) est étudiée. Seules les motivations sont passées sous silence : on ne saura jamais qui sont ces gens, d'où ils viennent et pourquoi ils ont mis en oeuvre cet attentat. C'est l'une des grandes forces de Day night day night : ne pas donner de visage au terrorisme, lui conférant une universalité pour le moins effrayante.
L'image est grise et instable, comme dans un documentaire. Un réalisme frappant, qui atteint son paroxysme lorsque la jeune femme débarque dans les rues de New York, un sac à dos prêt à exploser et un lecteur MP3 en guise de détonateur. À cause de son tout petit budget, Julia Loktev a dû tourner à la sauvage, se faufilant entre les passants sans que personne ne sache qu'elle réalisait un film. D'où les nombreux regards curieux ou inquiets de ces gens qui passent en fixant la caméra (et donc l'héroïne). Ce qui pourrait passer pour une maladresse transcende Day night day night, comme si la ville entière était frappée de prémonition. Alors, suivant le maître Hitchcock, Julia Loktev fait monter le suspense comme une reine, sans pour autant négliger l'aspect documentaire de son oeuvre. Quand les lumières se rallument, on reste pantois, les bras ballants, stupéfié par un film tétanisant et ravi d'avoir découvert une cinéaste en devenir, qu'on espère voir confirmer son statut de Lodge Kerrigan au féminin.
9/10
(également publié sur Écran Large)