Dans un essai clinique impliquant une soixantaine d’enfants autistes ou atteints du syndrome d'Asperger, un médicament diurétique à base de bumétanide a diminué la sévérité du trouble du développement chez ceux qui ont reçu le traitement. Un nouveau pas dans la lutte contre l’autisme.
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De précédents travaux menés par l'équipe de Yehezkel Ben-Ari à l’Institut de neurobiologie de la Méditerranée à Marseille sur les concentrations intracellulaires de chlore ont permis de montrer qu'elles sont anormalement élevées dans les neurones immatures, ceux ayant subi des crises d’épilepsie ou d’autres lésions cérébrales.
De nombreux anxiolytiques, analgésiques et antiépileptiques agissent en augmentant les effets du Gaba (ou acide gamma-aminobutyrique, le principal médiateur chimique du cerveau) qui, en temps normal, inhibe lesneurones. En présence d'une forte concentration de chlore dans les cellules, les effets de cette molécule sont inversés.
Les anxiolytiques accentuent ces effets : le Gaba n'inhibe plus les neurones. Ces médicaments vont augmenter l’excitation et donc aggraver la maladie au lieu de la réduire. C'est ce qui a été observé dans le cas de l'épilepsie : le diazépam, un anxiolytique, aggravait les crises dans certaines conditions. L'équipe de recherche avait alors montré l'intérêt d'un diurétique pour pallier cet effet.
Le bumétanide, un diurétique aux multiples pouvoirs
Des données expérimentales indirectes suggèrent des modifications de l’inhibition cérébrale induite par le Gaba dans l'autisme. Éric Lemonnier, clinicien au CHRU de Brest, a fait remarquer à Yehezkel Ben-Ari que le Valium n'est pas prescrit aux enfants souffrant de l’autisme car ils deviennent, selon les parents, plus agités, suggérant comme dans l'épilepsie et d’autres pathologies cérébrales que le chlore intracellulaire serait plus élevé.
Yehezkel Ben-Ari est l'un des coauteurs de cette étude. Le neurobiologiste et son équipe pourraient bientôt développer un médicament pour atténuer la sévérité de l'autisme. © P. Latron, Inserm
De cette rencontre est née l’idée de tester un diurétique (de la même manière que pour l’épilepsie) afin de déterminer si cela pouvait améliorer les troubles autistiques. Un essai pilote sur 5 enfants a été rapidement mis en place en 2010 car le bumétanide, le diurétique testé, est couramment utilisé, notamment dans le traitement de l’hypertension.
La prise de ces molécules peut toutefois entraîner une baisse de potassium qui nécessite une supplémentation. Les chercheurs ont alors démarré unessai randomisé en double aveugle sur 60 enfants autistes et atteints du syndrome d'Asperger âgés de 3 à 11 ans.
Un recul significatif de l’autisme
Les enfants ont été suivis pendant 4 mois. Comme expliqué dans la revueTranslational Psychiatry, un groupe a reçu le traitement diurétique (1 mg de bumétanide) et le deuxième groupe un placébo pendant 3 mois. Le dernier mois, aucun traitement n'a été donné. La sévérité des troubles autistiques des enfants a été évaluée au démarrage de l'essai, à la fin du traitement, c'est-à-dire au bout de 90 jours, et un mois après la fin de ce dernier.
Après le traitement, le score moyen au test CARS (Childhood Autism Rating Scale) des enfants traités au bumétanide s'est amélioré de façon significative. La sévérité des troubles autistiques du groupe traité passe du niveau élevé (plus de 36,5) à moyen (moins de 36,5). Aucune différence significative de score n'est observée dans le groupe ayant reçu le placébo.
Au total, 77 % des enfants ayant reçu le traitement ont une amélioration dudiagnostic clinique (test CGI : Clinical Global Impressions). À l’arrêt du traitement, certains troubles réapparaissent. Le traitement au bumétanide serait donc réversible.
Des enfants autistes « plus présents », selon les parents
Le docteur Lemonnier revient sur le cas d'un garçon de 6 ans. « Avant le traitement, l'enfant avait de faibles capacités de langage, une faible interaction sociale, une hyperactivité et un comportement en constante opposition. Après trois mois de traitement, ses parents, ses professeurs, le personnel de soin de l'hôpital et ses amis à l'école ont attesté qu'il participait mieux, notamment aux jeux proposés par le psychologue. Son attention et le contact visuel se sont également améliorés. »
Cette vidéo montre comment le traitement au bumétanide permet à l'enfant autiste de se concentrer et de participer à l’activité qu’on lui propose. © Inserm, Youtube
« Même s'il ne peut pas guérir la maladie, le diurétique diminue la sévérité des troubles autistiques de la plupart des enfants. D'après les parents de ces enfants, ils sont plus présents », ajoute Yehezkel Ben-Ari.
Vers un essai clinique de plus grande ampleur pour le bumétanide
Étant donnée l'hétérogénéité de la population, les chercheurs ont supposé que le traitement pourrait agir différemment selon la sévérité des troubles autistiques. En reconstituant des groupes en fonction de la sévérité, les résultats suggèrent que le médicament serait plus efficace chez les enfants les moins affectés.
C'est pourquoi les chercheurs ont déposé une demande d'autorisation pour réaliser un essai multicentrique à l'échelle européenne afin de mieux déterminer la population concernée par ce traitement et à terme obtenir une autorisation de mise sur le marché (AMM) pour cette indication.
Cet essai est piloté par une entreprise créée par le professeur Ben-Ari et le docteur Lemonnier (Neurochlore). Des analyses sont également indispensables pour évaluer l'impact de la prise à long terme de ces molécules et la dose requise. Enfin, les chercheurs soulignent la nécessité de poursuivre les travaux sur les modèles expérimentaux afin de déterminer comment le chlore est régulé et comment il se dérégule dans les réseaux neuronaux de patients autistes.
Ces travaux ont fait l’objet d’un dépôt de brevet et d'une concession de licence accordée à la start-up Neurochlore.