Ils possèdent une richesse totale de 10 700 milliards de dollars (soit 25,5% de la richesse globale des millionnaires de la planète)[1]. Dans un marché de gestion de fortune globalement assez morose, l’Asie fait figure de relais de croissance incontournable pour les principales banques privées internationales. A plus long terme, le continent asiatique sera sans aucun doute celui qui produira le plus de richesses et par là même le plus de millionnaires. Selon les professionnels du secteur, cette croissance rapide de la richesse devrait se poursuivre à un rythme de 13% sur les 5 prochaines années. Pour mener avec succès la conquête de cet eldorado doré, les banques doivent apprendre à connaître les spécificités de ce marché. Elles doivent également définir un business model rentable ciblé sur une segmentation client adaptée. Enfin, elles doivent analyser leurs forces et faiblesses dans la région pour déterminer comment s’implanter à moindre coût.
Les caractéristiques du marché asiatique
Il faut distinguer deux types de clientèle pour bien comprendre le marché asiatique :
- D’une part le marché onshore, avec des millionnaires asiatiques (Chinois, Indiens, …) ayant fait fortune grâce au développement économique considérable de la région ces dernières années. Ce marché est doublement prometteur puisqu’à la croissance du nombre de millionnaires s’ajoute leur actuelle faible prise en charge par des banques privées (seulement 20% des AuMs [2] des millionnaires asiatiques sont confiées à des banques privées). Le marché à conquérir est donc considérable.
- D’autre part le marché offshore, avec une clientèle constituée de clients européens, américains ou du Moyen-Orient qui souhaitent délocaliser tout ou partie de leurs avoirs pour avoir accès aux attractifs marchés asiatiques ou pour profiter des réglementations bancaires et fiscales plus conciliantes dans cette partie du monde. A ce titre Singapour est en passe de détrôner la Suisse dans son rôle de première place financière mondiale offshore.
Les clients asiatiques HNW (High Net Worth – fortune supérieure à 1 million de dollars) dont les avoirs sont gérés par des banques privées se distinguent par deux caractéristiques en apparence contradictoires : ils sont souvent multi bancarisés (placement de leurs avoirs dans 3 banques différentes en moyenne) et ils exigent que leur banquier sache comprendre et analyser correctement leurs besoins. Or cela n’est possible que si le banquier privé a une vision panoramique de leur patrimoine. Ce paradoxe met en lumière une prudence voire une méfiance dans la relation entre ces millionnaires et leur banque privée et dessine l’un des enjeux des banques privées en Asie : gagner la confiance de leurs clients pour que ceux-ci leur dévoilent une plus grande partie de leurs avoirs.
A cela s’ajoute le profil particulier de la majorité des millionnaires asiatiques, qui sont souvent des entrepreneurs ayant fait fortune récemment et encore en activité. Leurs problématiques patrimoniales personnelles et professionnelles sont donc intimement liées. Une vision à 360° du client signifie non seulement connaître l’ensemble de sa fortune privée mais aussi son patrimoine et ses objectifs professionnels. C’est pourquoi les banques qui réussiront à tirer leur épingle du jeu seront celles en mesure de proposer des solutions globales couvrant aussi bien les besoins de financement de l’actif professionnel que les besoins de placements et de transmission du patrimoine privé.
Les défis d’un développement rentable
Le premier défi porte sur le recrutement, notamment sur les postes de front office : les banquiers privés. Pour (r)établir une relation de confiance avec leurs clients et les convaincre de leur dévoiler (et à terme de leur confier) l’intégralité de leurs avoirs, les banques privées doivent recruter les meilleurs banquiers privés. La demande est forte du côté des banques mais l’offre est faible du côté des banquiers privés car le métier de la gestion de fortune est encore jeune en Asie. Les banquiers privés représentent un coût considérable pour les banques puisqu’ils sont rares et chers à attirer puis à retenir. Afin de rentabiliser pleinement ces talents les banques doivent refondre leurs processus métiers pour que ces derniers soient dédiés au maximum à des tâches commerciales pures et rémunératrices au détriment des tâches plus administratives ou de support.
Le second défi est celui de la segmentation de la clientèle pour offrir des services très personnalisés mais rentables pour la banque. Le constat est qu’une banque ne peut servir de façon rentable tous les segments de clientèle avec une offre dédiée. Pour être performante, elle doit choisir quels segments de clients servir en priorité, en identifiant ceux qui présentent une taille critique lui permettant de rentabiliser ses coûts commerciaux et de structure (compliance notamment). La segmentation peut reposer sur des critères de niveau de fortune (affluent, HNWI, UHNWI), de nationalité du client (onshore vs offshore) d’origine de la fortune (héritée vs construite), … . Pour prendre pied sur le marché asiatique, les banques européennes peuvent par exemple choisir de servir en priorité une clientèle offshore, composée de clients « occidentaux » souhaitant investir sur les marchés asiatiques. Une fois la marque établie et le seuil de rentabilité atteint, elles pourront étudier l’opportunité de développer leur offre vers le marché onshore pour profiter de son potentiel de croissance.
Parallèlement à cette segmentation de la clientèle, les banques doivent être en mesure de proposer des services à la fois patrimoniaux et professionnels afin de couvrir l’ensemble des besoins clients. C’est la stratégie choisie par BNP Paribas Wealth Management qui a mis en place des procédures de coopération étroite entre ses équipes Corporate Investment Bank et Wealth Management en Asie pour pouvoir servir au mieux sa clientèle aisée. Le client n’a qu’un seul interlocuteur pour l’ensemble de ses problématiques professionnelles et privées. Au-delà de la valeur ajoutée apportée à ses clients, cette coopération permet une conquête commerciale efficace via le cross-selling. Un client en passe de vendre son entreprise pourra bénéficier de l’expertise de la banque d’affaire tandis que les nouvelles liquidités issues de cette cession pourront être gérées par la banque privée. Ce type d’organisation semble particulièrement adapté au marché asiatique puisque la Société Générale a mis en place une structure similaire appelée Private Investment Banker.
En dernier lieu se pose la question du mode d’implantation des banques dans la région asiatique. Celles-ci doivent évaluer leurs forces en local avant de décider du mode d’implantation et du niveau d’investissements associé. Ont-elles une ou plusieurs lignes métier déployées dans la région ? Si oui, alors la banque pourra certainement profiter du cross-selling (partage de clients) ou de synergies (système d’information ou compliance) permettant de mutualiser certains coûts fixes et de limiter les coûts d’acquisition de clientèle. Sinon, elle peut procéder par acquisition externe mais les cibles sont rares aujourd’hui ou encore envisager la possibilité d’un partenariat avec une banque locale.
Les perspectives restent à concrétiser
Le potentiel de développement des banques privées en Asie est considérable. Les acteurs européens et français doivent se mettre en ordre de marche dès à présent pour l’exploiter de façon rentable. A défaut de recette miracle, chacun doit identifier ses forces dans la région pour mettre en place le business model qui lui permettra de servir le plus efficacement et au meilleur prix une clientèle exigeante. Le futur classement des banques privées mondiales dépend certainement de leur réussite ou de leur échec dans cette conquête de l’Asie.
[1] Cap Gemini et RBC World Wealth Report 2012
[2] AuM : Asset under Management ou Actifs sous gestion
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