La poésie se porte plutôt bien

Par Poesiemuziketc @poesiemuziketc

Source : Envie d’écrire


On pensait que la poésie n’était plus ni vendue ni lue. Détrompons-nous. Car d’après le sociologue Sébastien Dubois qui travaille sur l’édition de poésie contemporaine. Selon lui, la poésie se porte plutôt bien. Extrait d’un entretien accordé au magazine français, Livres Hebdo :

La poésie est-elle toujours un genre littéraire majeur et un secteur économique marginal ?

Sébastien Dubois : Oui, dans le sens où certains poètes contemporains entrent encore au panthéon littéraire. Yves Bonnefoy est inscrit dans les programmes scolaires, à l’agrégation de lettres, il a atteint une notoriété internationale incontestable. Théâtre et poésie représentent ensemble 0,2 à 0,4 % du marché du livre, contemporains et classiques inclus, et environ 1 % du lectorat français lit de la poésie. On estime qu’un tiers des ventes sont en dessous de 500 exemplaires, un tiers autour de 500, et un tiers au-delà. Un auteur contemporain peut vendre 5 000 exemplaires la première année, puis 500 l’année suivante. En les cumulant, les chiffres ne sont pas si mauvais comparés au roman contemporain. En poche, on passe à une autre echelle, de sorte que ce format constitue un enjeu très important pour la poésie contemporaine. Il correspond de plus à une consécration. En poésie, la réputation se transforme sur le long terme en profit économique. C’est parce qu’un auteur est reconnu comme un grand auteur qu’il va ensuite réussir sur Ie marché. Il s’agit d’une économie inversée, comme dirait Bourdieu : Ie symbolique précède l’économique.

Comment la poésie contemporaine, qui a besoin de temps, survit-elle dans un marche du livre de plus en plus rapide ?

S. D. : On la croit souvent en crise, alors que si l’on compare la réalité économique, elle est plutôt mieux lotie aujourd’hui qu’au début du XXe siècle. Les ventes étaient bien moindres, et les poètes ne pouvaient pas compter sur des éditeurs aussi importants que Gallimard. En revanche, elle est moins visible car son économie s’oppose aux logiques dominantes sur le marché du livre. Mais la poésie contemporaine a réussi à construire un monde économique, des réseaux spécifiques et assez bien répartis sur le territoire qui associent des éditeurs, des diffuseurs, des libraires et des lieux de diffusion comme les marchés de la poésie ou les maisons de la poésie.

Qui sont les poètes ?

S. D. : Ils ont fait des études longues, plus de la moitié sont enseignants, et bon nombre sont universitaires. Yves Bonnefoy enseigne I’histoire de I’art, Michel Deguy la philosophie (ses écrits sur Heidegger : sont incontournables)… Ce sont des références dans le monde intellectuel. Finalement, ils ne sont pas tres différents de Baudelaire parlant de Delacroix. La poésie est toujours le fait d’une élite. Cette élite est un peu plus large aujourd’hui, et l’institution scolaire joue un très grand rôle dans la diffusion. Mais la poésie reste un art élitiste, et donc partagé par une élite.

Comment un poète est-il reconnu comme tel ?

S. D. : Un poète, lorsqu’il débute, va être jugé par les autres poètes, qui ont à l’esprit une série de critères et une histoire littéraire qui vont orienter leur jugement. De sorte que si vous ne prenez pas en compte ce qui s’est fait par le passé, si vous ne produisez pas une analyse dessus, vous n’avez aucune chance de réussir. Ainsi, Michel Houellebecq est complètement absent des débats en poésie contemporaine.

A quoi tient ce processus ?

S. D. : Depuis le milieu du XIXe siècle, il ne s’agit plus d’appliquer un code mais d’en inventer un. Il faut donc dire ce que vous faites et pourquoi vous le faites. Contrairement à une idée répandue, la poésie est un art technique, c’est-à-dire qui nécessite un long apprentissage dans la maîtrise des formes, l’histoire de la poésie, la connaissance de la poésie contemporaine. L’art le plus proche de la poésie, de ce point de vue-là, c’est la musique contemporaine savante : ce sont des arts intellectuels, jugés par des pairs.

Est-ce pour cela que la poésie contemporaine reste malgré tout confidentielle ?

S. D. : Le décalage avec le grand public vient de la socialisation aux oeuvres de poésie telle que la propose l’école. A de rares exceptions près, les élèves s’arrêtent à Apollinaire. Ses oeuvres les plus populaires sont celles dans lesquelles il emploie une métrique assez classique, des poèmes encore tres marqués par le romantisme. Or les poètes contemporains sont beaucoup plus loin aujourd’hui, ils ont inventé d’autres choses. Sur ce point, l’université est aussi très conservatrice. Dans les cursus littéraires, vous avancez vers la création contemporaine à mesure que vous progressez en années. On estime qu’il faut d’abord connaître ce qu’il y a eu avant.

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